LE TRAITEMENT JUDICIAIRE DES ACCIDENTS COLLECTIFS, M-F. Steinlé-Feuerbach

Marie-France Steinlé-Feuerbach

Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’UHA
Directeur honoraire du CERDACC

 

Compte-rendu du colloque qui s’est tenu le 4 octobre 2019 au

Tribunal de Grande Instance de Paris,

 

 L’amphithéâtre Pierre Drai du nouveau Palais de verre des Batignolles est resté comble toute cette journée du 4 octobre. Magistrats, universitaires, avocats, professionnels de l’aide aux victimes, membres d’associations de défense de victimes forment un public nombreux et studieux, pour cette première journée d’étude organisée par le pôle accidents collectifs du parquet de Paris dont le thème « Le traitement judiciaire des accidents collectifs » est, hélas, d’une brûlante actualité. Il constitue aussi, depuis vingt-cinq ans, l’axe fondamental de recherche du CERDACC (C. Lienhard, « Pour un droit des catastrophes », D. 1995, chr., 91 ; T. Hassler, « Le gauchissement des règles de la responsabilité civile en cas d’accident collectif et de risques majeurs », LPA 8 juin 1994, n° 68, 19 ; M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Le droit des catastrophes et la règle des trois unités de temps de lieu et d’action », LPA 28 juillet 1995, n° 90, 9).

 C’est avec une pensée toute particulière pour les quatre fonctionnaires de police assassinés hier que le procureur de la République, Monsieur Rémy HEITZ, introduit le colloque. Le procureur rappelle ensuite la création des deux pôles accidents collectifs, à Paris et à Marseille, par la loi du 13 décembre 2011 ainsi que le décret du 26 décembre 2014.

 Cinq années de recul permettent d’apprécier la plus-value apportée par ces pôles. Le pôle de Paris couvre vingt-sept cours d’appel en France métropolitaine ainsi que Saint-Pierre et Miquelon. Le procureur évoque les accidents collectifs récents et annonce qu’il va se déplacer à Rouen au titre du pôle de santé publique. Un pôle au Parquet, c’est aussi un pôle au Siège. Ces pôles jouent un rôle déterminant dans la prise en charge des victimes. Deux écueils sont à éviter : le morcellement du parquet et la perte de savoir-faire des juridictions locales.

 L’allocation d’ouverture est prononcée par les représentants de Madame Nicole BELLOUBET, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’accent est mis sur l’aide aux victimes. Ces dernières sont confrontées à la longueur de l’instruction due notamment à la difficulté relative à la mise en œuvre de la responsabilité pénale des personnes morales (art. 121-2 CP ).

La journée est organisée en réponses aux questions qui se posent lors de la survenance d’un accident collectif.

La matinée est animée par Yves BADORC, procureur adjoint, parquet de Paris.

 Quel cadre juridique ?

 La parole est donnée à Caroline LACROIX, maître de conférences à l’université d’Évry-Val d’Essonne, présidente de PAV, présidente du conseil scientifique de France Victimes et chercheur associé au CERDACC. Elle rappelle que les accidents collectifs sont happés par le champ pénal. Dès le XIXème siècle, le juge pénal est saisi et, actuellement, la Cour européenne des droits de l’Homme affirme le droit à un procès pénal en cas de catastrophe. Les accidents collectifs ne sont pas nécessairement fortuits, ils peuvent être fautifs, prévisibles. Les victimes attendent de la justice qu’elle désigne un responsable mais le droit pénal peine parfois à appréhender les accidents collectifs. L’idée de constituer un corps de magistrats spécialisés avait été émise par la doctrine dès 2001. Il avait été suggéré qu’un tel pôle soit installé à Colmar dont la cour d’appel possédait incontestablement une expérience en matière d’accident collectif, le Centre de recherche en droit des catastrophes et des accidents collectifs y étant par ailleurs installé.

Finalement, la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures judiciaires donnera naissance à ces juridictions spécialisées qui ont vocation à connaître des « affaires qui comportent une pluralité de victimes et sont ou apparaissent d’une grande complexité » et dont la qualification est celle des infractions non intentionnelles. Trois ans plus tard, un décret d’application désignera les tribunaux de grande instance de Paris et de Marseille, déjà spécialisés en matière de santé publique.

 L’éloignement du juge est le principal argument soulevé à l’encontre de ces pôles, un autre avait été l’absence d’activité significative ; sur ce dernier point, Caroline Lacroix, non sans ironie, laisse les intervenants qui lui succéderont s’exprimer sur « leurs activités ronronnantes ».

Dans une approche prospective, l’universitaire s’interroge sur une réforme des articles 161-1 et 167 du code de procédure pénale. De manière plus pragmatique, il conviendrait de développer les nouvelles technologies de l’information, en particulier la numérisation des notifications ou une plate-forme dédiée. Quid d’une césure entre le pénal et le civil ?

Xavier TARABEUX, procureur de la République de Marseille indique que le pôle de Marseille recouvre sept cours d’appel. Les dossiers en cours sont celui du crash de la Germanwings, de l’accident de Millas, de l’effondrement de la rue d’Aubagne, qualifié d’accident collectif malgré le nombre des victimes moins spectaculaire, le crash de deux hélicoptères de l’armée, le 2 février 2018. Le cadre juridique de la saisine du pôle répond à trois critères : qualification pénale d’infractions non intentionnelles d’atteintes aux personnes, pluralité de victimes, complexité.

Pour les catastrophes maritimes, il pourrait y avoir à Marseille deux compétences en raison de la présence du tribunal maritime.

La décision de saisir le pôle se fait avec l’accord des parquets généraux. Il convient de mobiliser immédiatement plusieurs collègues du parquet, de mettre en oeuvre des moyens, notamment de transport, la mise en place d’une cellule de communication avec une veille sur les réseaux sociaux, l’organisation des réunions avec les proches, la participation à la réunion du CLAV (Comité local d’aide aux victimes).

Le procureur précise encore que les magistrats ont un soutien psychologique et qu’un RETEX est fait systématiquement. Il s’interroge enfin sur la création d’un site dédié pour la communication avec les familles de nationalité étrangère.

Quelle coopération internationale ?

 Selon Alexis LE COUR GRANDMAISON, directeur-adjoint du Centre de crise et de soutien (CDCS) du Quai d’Orsay, un réseau de 160 ambassades permet d’intervenir immédiatement.  Une cellule de crise est animée par la Croix Rouge. Trois jours après le crash d’Ethiopian Airlines survenu le 13 mars 2019, et faisant neuf victimes françaises, une réunion des familles a pu être organisée. A chaque étape, le CDCS informe les services concernés sur les développements de ces tragédies. Selon le dernier RETEX : il importe de rétablir les erreurs des médias et il faut être attentif à la confusion éventuelle en cas de double nationalité.

En cas d’accident collectif aérien, il existe depuis 2018 un partage de compétence : le CDCS est compétent pendant la phase de crise, la DGAC (Direction générale de l’aviation civile) ensuite. Des coordinateurs nationaux vont assurer un suivi et les victimes bénéficient d’un accompagnement par la DIAV (Délégation interministérielle d’aide aux victimes). Le CDCS reste engagé dans tout ce qui concerne les relations diplomatiques : le déplacement des familles sur les lieux nécessite une étroite collaboration avec les autorités locales et, en parallèle, le processus judiciaire nécessite souvent des démarches diplomatiques.

Trois constats sont posés : celui de la consolidation récente du dispositif, celui de l’enjeu central de la coopération internationale et celui du jeu politique de l’émotion qui permet de faire bouger les lignes.

Pour le Magistrat de liaison au Royaume-Uni, Ariane AMSON, en cas d’accident ou d’attentat à l’étranger il importe de gommer autant que possible, pour les victimes, le fait que cela soit à l’étranger, autant du point de vue matériel que judiciaire. Dans une première phase, le magistrat de liaison doit régler des questions matérielles – qui va régler les factures du transport sur place ? – et des questions de périmètres, comme la détermination du cercle familial. Le consulat est en première ligne pour accueillir les personnes et ce sont d’abord les autorités judiciaires locales qui sont à la manœuvre. Lorsque le temps passe, les familles s’interrogent sur le suivi judiciaire à l’étranger et en France. Les autorités locales ont des méthodes très variables. Madame Amson rappelle qu’au Royaume-Uni, les familles ne sont pas parties civiles.

En cas de tenue d’un procès à l’étranger se posent des questions très concrètes comme celle  du déplacement des familles pendant de longues semaines, de l’opportunité d’une visioconférence. Ensuite se pose la question de l’indemnisation : vaut-il mieux la demander en France ou à l’étranger ?

En résumé, le rôle du magistrat de liaison est celui d’un couteau suisse : il lui faut s’adapter à des situations pour lesquelles rien n’est prévu.

L’après-midi est animé par Loïs RASCHEL, vice-procureur, parquet de Paris.

 Quels acteurs ?

Jean-Luc GADAUD, premier vice-président chargé de l’instruction et coordonnateur du pôle santé publique et accidents collectifs à Paris, constate que l’accident collectif n’a pas de définition, la meilleure est donnée par Claude Lienhard. La jurisprudence prend de moins en moins compte de la force majeure en matière de catastrophe naturelle (Cf. M.-F. Steinlé-Feuerbach (dir.) Inondations : responsabilités et force majeure, rapport pour le Ministère de l’Aménagement  du Territoire et de l’Environnement, 2002).

Dix magistrats instructeurs sont spécialisés. La spécialisation a des intérêts comme celui de gérer des catastrophes hors normes. L’analyse technique est essentielle de même que la co-saisine, pour exemple : l’audition de plusieurs représentants de compagnies aériennes. La mission du juge quant à la manifestation de la vérité judiciaire est confrontée à des causalités multiples et non exclusives, les lieux de l’accident sont souvent des facteurs de complexité.

Il n’est pas toujours possible de conclure à des responsabilités pénales malgré le tribunal médiatique. La recherche de la responsabilité pénale exige du temps et ce temps judiciaire est à des années-lumière de l’attente des victimes.

Monsieur Gadaud évoque ensuite les interactions avec les enquêtes de sécurité pour lesquelles l’approche est différente, ce qui est loin d’être sans conséquences. L’argument pour la protection des données de ces enquêtes de sécurité est la crainte que de la perspective d’une condamnation provoque de la rétention d’informations.

Les accidents collectifs ont évolué. Une mutation a eu lieu comme la prise en compte des aspects de santé publique. L’incendie de Rouen en est un exemple d’une brulante actualité ; le parquet et l’instruction vont devoir agir sur une zone géographique indéterminée.

En conclusion, il faut faire évoluer les procédures.

L’importance de l’enquête de gendarmerie ne saurait être mise en doute. Le colonel Laurent CHARTIER, commandant de la Section de Recherche Gendarmerie des Transports Aériens (SRGTA) indique que la Gendarmerie des Transports Aériens (GTA) a été créée le 31 mars 1953 et que son implantation couvre tout le territoire. L’enjeu est avant tout lié à la sûreté. La SRGTA est née des suites du crash du Concorde. Actuellement, forte de 44 militaires, elle repose sur deux piliers : la lutte contre la criminalité organisée et l’investigation aéronautique, avec une attention particulière pour les drones. Composée à 50% d’officiers de police judiciaire et de techniciens, la section de recherche apporte son concours dans différents pays non dotés d’une structure équivalente.

Les dossiers emblématiques de la section sont le crash de l’A 320 de la Germanwings, la collision de deux hélicoptères lors du tournage de l’émission Dropped, le 9 mars 2015.

Le colonel Chartier insiste sur les interactions avec des partenaires privilégiés que sont le BEA et le BEA-É (Bureau enquêtes accidents pour la sécurité de l’aéronautique d’État) ainsi que l’UNIVC (Unité nationale d’identification des victimes de catastrophes). Il existe une très bonne coordination avec le BEA en raison de compétences et de passions communes. L’UNIVC est concernée par des victimes non identifiables en visuel malgré les moyens de photographier la scène de près grâce aux drones.

Le déclenchement de la mission pouvant être très rapide, il faut anticiper les moyens matériels et assurer la sécurité du personnel. Un back-office reste en veille à Roissy, celui-ci peut se voir attribuer la liste des passagers.

L’action du BEA est présentée par le général Bruno CAITUCOLI, ancien directeur du Bureau Enquêtes Accidents pour la sécurité de l’aéronautique d’État. Le général souhaite contribuer à une meilleure contribution mutuelle. Il relate avec humour sa première rencontre avec un substitut qui avait l’aspect du « lapin dans les phares ».

L’annexe 13 de la Convention de Chicago (Convention relative à l’aviation civile internationale, signée à Chicago le 7 décembre 1944, l’annexe 13 date de 1947) impose la création et le financement de bureaux indépendants. A la fin des années 70, on a voulu transposer le BEA aux militaires avec un BEA Défense, mais cela n’a pas suffi d’où l’actuel BEA-É.

Il faut que les rapports des BEA empêchent la répétition de l’événement. Sont concernés les avions de fabrication française et ceux des compagnies françaises.

La justice s’intéresse à ce qui s’est passé avant l’accident alors que les BEA sont tournés vers l’avenir. Le général se réjouit des excellentes relations entretenues avec le monde judiciaire. L’avantage du pôle est que les personnes se connaissent. Les experts du BEA-É, contrairement aux enquêteurs judiciaires, ne sont pas arrêtés par les frontières, grâce à l’article L 3125-2 du code de la défense, seul article qui renvoie au code du transport.

Le temps du BEA n’est pas celui de la justice, le rapport doit être terminé avant que la phase judiciaire le soit.

En conclusion : le système français est remarquable.

Quelle prise en charge des victimes ?

La délégation interministérielle de l’aide aux victimes, laquelle a un représentant désigné dans chaque ministère, est présentée par la déléguée, Madame Élisabeth PELSEZ. Le premier événement dont la délégation a été saisie est l’accident de Millas, le plus récent celui d’Ethiopian Airlines. Selon elle, l’actualité fait que l’on se focalise souvent sur certains accidents en en oubliant d’autres. Pour celui de Millas la désignation d’un coordonnateur avec les assureurs a permis l’élaboration d’une convention d’indemnisation. France Victimes est l’opérateur de l’État.

S’agissant des comités locaux d’aide aux victimes (CLAV), il convient d’y restaurer la place des procureurs ; jusqu’à récemment seul le préfet présidait le comité, maintenant il s’agit d’une co-présidence (Sur l’articulation des rôles Cf. K. Favro et M.-F. Steinlé-Feuerbach « Préfets, procureurs et maires dans les accidents collectifs » in Préfets, Procureurs, maires ss. la dir. de Pascal MBongo, PUM, 2011, pp. 135-151). Madame Pelsez insiste sur l’importance des réunions d’information notamment afin d’expliquer la complexité de l’affaire.

Madame Pelsez aborde ensuite les projets. Parmi ceux-ci, le SIVAC (Système d’information interministériel des victimes d’attentats et de catastrophes) qui est un gros système informatique, depuis décembre 2018 il y a un croisement des données. Il faut agréger les données y compris celles du Fonds de garantie, un décret relatif au SIVAC est en préparation.

Un autre chantier est celui de l’annonce des décès. Lors de l’accident de Millas cette annonce n’était pas satisfaisante sur le plan humain.

Un rapport au garde des Sceaux contient dix-huit propositions dont certaines concernent les accidents collectifs est en cours de rédaction.

Jérôme BERTIN, directeur général de France Victimes (anciennement INAVEM), relève que le nom de ce réseau a déjà été cité plusieurs fois lors de cette journée. La mission du réseau est d’intérêt général au profit de toutes les victimes avec un accompagnement dans la durée. Ainsi que le précisait Claude Lienhard en exergue de la première plaquette de l’INAVEM, il s’agit de « Toutes les victimes, quelle que soit la cause de leur malheur, ont droit à la considération et à la solidarité » (cf. C. Lienhard, « 20 ans au regard du maillage institutionnel et partenarial », in Humanité et compétence dans l’aide aux victimes – Les  20 ans de l’INAVEM, L’Harmattan, juin 2008, p. 53 et s.). France Victimes fédère 132 associations d’aide aux victimes et gère le numéro national d’Aide aux victimes : 116 006. Chaque année, 320 000 victimes sont reçues dont la prise en charge globale est encadrée par la fédération avec des règles déontologiques. Les associations réalisent l’interface entre les victimes et la pluralité de professionnels, assurance, justice…, en face d’elles.

En matière d’accidents collectifs, la démarche est la même et actuellement, les associations sont mobilisées sur une vingtaine d’événements parmi lesquels il ne faut pas oublier les victimes étrangères (attentat de Nice) ainsi que les Français à l’étranger.

Le rôle des associations est décliné à chaque page du guide sur la prise en charge des victimes d’accident collectif édité par le ministère de la justice (A LIRE ICI )

Après les associations d’aide, c’est au tour des associations de défense (Cf. M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Victimes d’événements collectifs : les interventions des associations d’aide et de défense », in Dialogues Mulhousiens, n°3, Intervention(s), Journées Doctorales des Humanités 2018, sous la direction d’Inkar Kuramayeva et Régine Battiston, janvier 2019, p. 33-45 (version en ligne, http://dialogues.hypotheses.org/). Pierre-Etienne DENIS, président de la fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (FENVAC), rappelle l’époque où aucune prise en charge n’existait. La FENVAC a participé à la création d’un corpus d’aide aux victimes, cette construction doit perdurer. Il souligne la complémentarité avec l’aide aux victimes. La FENVAC réalise une approche humaine de victime à victime. Son président exprime une inquiétude : la bicéphalie laisse la place à une priorité à la fédération d’aide.

La demande fondamentale des victimes est la recherche de la vérité. Monsieur Denis revient sur l’article 2-15 du code de procédure pénale et regrette sa remise en cause dans l’affaire des « Cousins d’Amérique » (Trib. corr. Nanterre, 24 et 25 juin 2019 : « En l’espèce, il ne s’agit pas d’un accident collectif mais d’un accident de la circulation touchant un groupe »). Il ne faut pas tenir compte uniquement du nombre de victimes mais aussi de la potentialité de victimes.

Quelle réparation des dommages ?

Claude LIENHARD, avocat et professeur émérite – UHA CERDACC-, dont les écrits ont été cités à plusieurs reprises lors de la journée constate que de chemin parcouru depuis les trente dernières années en matière d’accident collectif, de catastrophe, d’accident sanitaire et sériel et d’attentat ! Du côté des victimes, les qualificatifs communs au traitement judiciaire des accidents collectifs doivent être la bientraitance, la bienveillance, l’effectivité et la qualité.
La réparation est un parcours scandé d’étapes bien identifiées par la victimologie, comme autant de droits pour la victime, celui d’être informée des risques – avant, pendant et après, et comment ne pas penser à l’usine Lubrizol ? -, d’être secourue, d’être aidée, le droit à la pudeur médiatique, à être indemnisée intégralement – ce qui renvoie au principe fondamental de la réparation intégrale -, à participer à la recherche de la vérité, à organiser une défense collective, celui de créer une association ou un collectif Facebook, et le droit de participer in fine à la prévention des risques une fois le parcours judiciaire accompli, si bientraitance il y a eu.

En ce qui concerne le dommage, Claude LIENHARD se réfère au rapport de Madame le professeur Lambert-Faivre de 2003 qui rappelait à juste titre la différence entre les dommages qui relèvent du fait et les préjudices qui relèvent exclusivement de la qualification juridique. Les dommages qui nous préoccupent ici sont les atteintes physiques et psychiques des victimes directes et indirectes.

L’universitaire réaffirme la conviction qui l’a toujours animé et qu’il a conceptualisé dans son article publié à la Revue Dalloz en 1995 avec un titre prémonitoire, « Pour un droit des catastrophes » : l’accident collectif nous entraîne et nous plonge dans le domaine de l’exceptionnel et du hors normes nous obligeant à modifier les visions et les pratiques habituelles. Ainsi, dès 1992, le crash du Mont Sainte Odile et l’effondrement du stade de Furiani ont montré la volonté de l’institution judiciaire d’imaginer un dispositif exceptionnel adapté à ces événements avec la prise en charge des victimes, l’implication associative et celle de professionnels venus de champs divers.

Tout en mesurant le chemin parcouru, Claude Lienhard rappelle que des progrès restent encore à faire notamment pour les expertises qui peuvent se révéler très violentes et doivent intervenir au bon moment. Pour ce qui est du dommage psychique, c’est sans doute le juge pénal qui y voit le plus clair et la relaxe n’empêche nullement l’indemnisation. La réparation s’insère dans des dispositifs qui existent et qui fonctionnent mais rien n’est jamais acquis. Ce qui importe, c’est la transmission d’un savoir-faire particulier.

Tous les acteurs sont des artisans de la fabrique du droit. La réparation est une subtile alchimie qui permet la résilience individuelle et collective.

On peut fêter les vingt-cinq ans du droit des catastrophes relève Benjamin DEPARIS, président du tribunal de grande instance d’Évry, qui se souvient être tombé sur le sujet lors de concours d’entrée à l’ENM. Il rappelle la publication des 11èmes États généraux du dommage corporel, à la Gazette du Palais, le 11 février 2019, qui avaient notamment abordé les préjudices d’angoisse et d’anxiété (Cf. également : B. Deparis, « Le point de vue du magistrat : retour sur le jugement du tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains du 26 juin 2013 », Gaz. Pal. 22 mars 2014 ; C. Lienhard et M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Accident collectif, collision entre un train et un car scolaire : un jugement remarquable -Trib. corr. Thonon-les-Bains, 26 juin 2013- », JAC n° 136, juil. 2013). L’indemnisation est une condition nécessaire mais pas suffisante de la réparation. Les maîtres mots sont : reconstruction, réconciliation, résilience. La réparation – indemnisation est très encadrée et c’est dans l’office du juge qu’on peut mettre sa patte.

Dans les accidents collectifs, avant celui d’Allinges, il y avait une zone de non indemnisation. L’avantage de la procédure pénale est de permettre de nourrir l’indemnisation aux notes d’audience. Il faut tenir compte des parties qui se connaissent, il y a une grande différence avec le droit commun quant aux circonstances précédant la réalité de l’événement. Les victimes directes avaient la quasi-certitude de leur propre mort, ce qui constitue un préjudice distinct, il ne s’agit pas des souffrances endurées qui se situent après l’événement, ni du préjudice d’anxiété de l’exposition à une substance dangereuse. Pour les victimes indirectes, il ne s’agit pas du même préjudice d’inquiétude que de celui des proches.

Ces préjudices spécifiques n’ont pas été soumis au contrôle de la Cour de cassation car il n’y a pas eu de pourvoi sur l’attribution des dommages-intérêts en cas d’accident collectifs mais ils sont intégrés par le Fonds de garantie.

Cependant, l’indemnisation n’est pas suffisante, le procès pénal participe à une réparation en nature. Un procès peut être réussi même avec une relaxe dès lors qu’il est de qualité.

La réparation doit être intégrale quel que soit le juge rappelle aussi Anne GUEGAN, maître de conférences à l’université Panthéon-Sorbonne, co-directrice du DU réparation du dommage corporel. La réparation intégrale est le meilleur et le moindre des objectifs de l’indemnisation. Nombre de postes de la nomenclature Dintilhac permettent de réparer dans le domaine patrimonial mais il en va autrement des préjudices extra-patrimoniaux. L’opération est alors plus complexe car il s’agit de chiffrer des aspects de la vie des victimes, et c’est là le défi le plus grand ! La nomenclature est en manque de postes adaptés aux accidents collectifs, mais elle n’est pas un carcan et il faut laisser une place de manœuvre au juge.

Toutefois, la Cour de cassation, et surtout sa deuxième chambre civile, tend à figer les postes, le pire étant lorsqu’elle casse sans renvoi. La chambre criminelle cherche à limiter les préjudices. Il existe un décalage entre la jurisprudence et les nombreux travaux du CERDACC. Madame Guégan rappelle le Livre Blanc sur les préjudices subis lors des attentats  (http://www.avocatparis.org/system/files/editos/barreauparis_livreblanc_victimes.pdf) et sa méthodologie ainsi que les conventions transactionnelles. Le projet de réforme du Code civil qui préconise un référentiel « indicatif »(art. 1271 du projet) fournit l’occasion de remettre la nomenclature Dintilhac sur le métier.

Pour ses propos conclusifs, Jean-Michel HAYAT, président du tribunal de grand instance de Paris, évoque les effets de la loi Fauchon (loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels). Il s’interroge : vaut-il mieux un non-lieu dans le silence ou une relaxe dans le fracas médiatique ? (Cf. l’exemple récent de l’ordonnance de non-lieu dans l’affaire du Rio-Paris rendue le 29 août 2019 par le vice-président de l’instruction du TGI de Paris et la vice-présidente chargée de l’instruction co-saisie, dont le parquet de Paris a fait appel).

Il constate que la question de l’impartialité des experts devient de plus en plus compliquée. C’est en matière de santé publique et d’accident collectif que la mission du juge est la plus difficile. Les juges doivent se former tout au long de leur carrière.

L’accident de Rouen va poser des questions de santé publique, il faut des outils adaptés. Peut-on imaginer que 4600 victimes puissent suivre les débats ? Le président du TGI de Paris milite pour une plateforme sécurisée permettant aux victimes de suivre le procès.

Avec trois juges d’instruction à Marseille et sept à Paris, il n’est plus possible de faire face aux affaires actuelles.

Il faut privilégier l’indemnisation sans ôter le droit aux victimes de se porter partie civile. La création du JIVAT (loi du 23 mars 2019 n° 2019-222 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, art. 64, création du juge de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme) répond à cet objectif. Il faut étendre en matière de santé publique les objectifs du rapport Bussière (Cf. Mission sur l’amélioration du dispositif d’indemnisation des victimes de préjudice corporel en matière de terrorisme, Rapport n° 007-18 au Garde des Sceaux, mars n° 2018).

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