Claude Lienhard
Avocat spécialisé en droit du dommage corporel,
Professeur Émérite à l’Université Haute-Alsace,
Directeur honoraire du CERDACC
et
Catherine Szwarc
Avocate spécialisée en droit du dommage corporel
I – Droit du dommage corporel
1- La pension de réversion n’est pas un revenu du foyer
La pension de réversion versée du chef du premier conjoint de la veuve de la victime, suspendue pendant le temps du second mariage, ne constitue pas un revenu de leur foyer et n’est pas la conséquence directe et nécessaire du décès de la victime.
Cass. 2e civ., 16 sept. 2021, n° 20-14383 A LIRE ICI
Réponse de la Cour :
Vu les articles 706-3 et 706-9 du code de procédure pénale et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
- Il résulte du premier texte et du principe susvisés que’en cas de décès de la victime directe, le préjudice patrimonial subi par l’ensemble de la famille proche du défunt doit être évalué en prenant pour élément de référence le revenu annuel du foyer avant le dommage ayant entraîné le décès de la victime directe, en tenant compte de la part de consommation personnelle de celle-ci, et des revenus que continue à percevoir le conjoint, le partenaire d’un pacte civil de solidarité ou le concubin survivant. Pour déterminer le montant de ces derniers, seuls doivent être pris en considération les revenus perçus par le conjoint survivant antérieurement au décès et maintenus après celui-ci, ainsi que tout nouveau revenu qui est la conséquence directe et nécessaire du décès.
- Il résulte du second des textes susvisés que la commission d’indemnisation des victimes d’infractions tient compte, dans le montant des sommes allouées à la victime au titre de la réparation de son préjudice, des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs au titre du même préjudice.
- Il découle de l’ensemble de ces dispositions que la circonstance qu’après le décès du dernier conjoint ou concubin, le survivant perçoive, du chef d’un précédent conjoint ou concubin, une pension de réversion, dont le versement, suspendu à la suite du remariage, a repris après le décès, n’est pas de nature à diminuer le montant de la réparation du préjudice économique subi.
- Pour allouer à Mme [C] la somme qu’il retient au titre de son préjudice économique, l’arrêt constate que le solde du revenu annuel du foyer, pour l’année 2006, doit être ramené à une certaine somme, compte tenu de la part d’autoconsommation de [I] [C], qu’il fixe à 40 %.
- L’arrêt ajoute que, sur ce montant, il convient de déduire les revenus existant avant le décès et subsistant après celui-ci, de même que les revenus consécutifs au décès, à savoir la pension de réversion versée du chef de [I] [C] et la pension de réversion versée du chef du premier conjoint de Mme [C], qui avait été suspendue pendant le temps du mariage, et lui a été à nouveau versée, après le décès de [I] [C].
- En statuant ainsi, alors qu’elle constatait que la pension de réversion versée du chef du premier conjoint, suspendue pendant le temps du mariage de M. et Mme [C], ne constituait pas un revenu de leur foyer et qu’elle n’était pas la conséquence directe et nécessaire du décès de M. [C], la cour d’appel a violé les textes et le principe susvisés.
2. Barèmes et référentiels
La bataille contre le barème « Macron » continue. Le nouvel acte de résistance émane de cour d’appel de Grenoble qui a décidé d’aller au-delà du plafonnement. Il faut faire confiance au juge. Ce qui vaut en matière de droit du travail vaut aussi pour la réparation des dommages corporels.
Pour autant les référentiels méthodologiques sont utiles pour nourrir soit les négociations entre créanciers et débiteurs indemnitaires institutionnels soit le débat judiciaire.
Le référentiel « Mornet » (A LIRE ICI) est désormais un outil essentiel non contraignant et assorti dans sa nouvelle édition de l’avertissement usuel :
« Ce document n’est pas un ouvrage qui traite de l’ensemble des difficultés juridiques relatives à la réparation du dommage corporel. Il propose seulement une aide méthodologique et des références d’indemnisation aux praticiens (magistrats et avocats) confrontés à cette question.
Le document adopte la nouvelle nomenclature des préjudices corporels esquissée par le groupe de travail présidé par Yvonne Lambert-Faivre et proposée par le groupe de travail dirigé par Jean-Pierre Dintilhac.
Il intègre la réforme de la loi du 21 décembre 2006 qui prend en compte la jurisprudence jusqu’en juillet 2021.
Ce document a en outre pour objet de proposer les références d’indemnisation figurant dans le Référentiel indicatif de l’indemnisation du préjudice corporel des cours d’appel.
Il est certain que chaque victime présente un cas particulier qui est fonction notamment de sa profession, de son âge, de l’incidence des faits sur ses revenus, etc. Il est cependant utile d’avoir des références jurisprudentielles destinées à aider les praticiens du droit du dommage corporel ».
Sur le plan bibliographique, il existe plusieurs ouvrages de référence :
-l’ouvrage de Max Le Roy, Jean-Jacques Denis Le Roy et Frédéric Bibal, intitulé « L’évaluation du préjudice corporel », édité chez Litec ;
-l’ouvrage de Yvonne Lambert-Faivre et Stéphanie Porchy-Simon, intitulé « Droit du dommage corporel –Systèmes d’indemnisation » édité chez Dalloz ;
-l’ouvrage de Gisèle Mor et Laurence Clerc-Renaud intitulé «Évaluation du dommage corporel –Stratégies d’indemnisation –méthodes d’évaluation», édité chez Delmas.
3. Nouveautés et innovations au service de la réparation intégrale et de la réinsertion
Toujours être à l’affût, on relèvera :
-La machine multi-sensorielle qui apaise les angoisses :
-Les réflexions sur les exosquelettes : A LIRE ICI
-La 3D pour réparer l’intime :
-Le marathon avec les poumons d’une autre :
-La création d’un Memoji portant un implant cochléaire partageable via messages et FaceTime depuis votre appareil Apple. A LIRE ICI
4. Évaluer et combattre la douleur
Le prix Nobel de médecine est décerné aux Américains David Julius et Ardem Patapoutian, pour leurs découvertes sur les récepteurs de la température et du toucher.
Ces travaux éclairent notamment des mécanismes de la douleur.
5. Préjudice esthétique : un témoignage éclairant au temps des réseaux sociaux
C’est un secret qu’il gardait depuis un an. Olivier Rousteing, créateur star de la maison Balmain, a révélé samedi sur Instagram avoir été grièvement blessé l’an passé dans l’explosion de sa cheminée : «Je me sens enfin prêt à partager ça. Je le cache depuis trop longtemps et il est temps pour vous de savoir. Il y a un an exactement, la cheminée chez moi a explosé», débute-t-il, accompagnant son long texte d’une photo de lui. Le jeune homme apparait le haut du corps entièrement bandé, le visage en partie brûlé. A LIRE ICI
6. Coma et accompagnement, un cas exemplaire
Trente-neuf ans au chevet de son mari victime d’une erreur médicale.
II – Droit des victimes
1. Le droit d’agir des associations
La capacité des associations à agir en justice pour la défense d’intérêts collectifs est soumise à des conditions de recevabilité variables selon les juges saisis et les sujets concernés. Tandis que devant les juges civil et administratif, la recevabilité de l’action repose sur l’appréciation de l’intérêt à agir, devant le juge pénal prévaut le principe selon lequel la capacité à enclencher l’action publique pour la répression des infractions est limitée et réservée au procureur de la République et aux victimes de l’infraction dénoncée. Ce principe connaît néanmoins désormais de multiples exceptions, instituées par le législateur et marquées par une grande hétérogénéité. Certaines associations ne pourront ainsi agir que par voie d’exception, après avoir reçu l’accord de la victime ou à condition d’avoir préalablement obtenu un agrément. Les procédures d’octroi et de renouvellement de ces agréments étant elles-mêmes variables, il en résulte un manque de lisibilité qui a conduit la commission des lois à se saisir du sujet par la création d’une mission d’information.
Cette mission d’information flash, confiée par la commission des lois à M. Bruno Questel (LaREM, Eure) et Mme Cécile Untermaier (Socialistes et apparentés, Saône-et-Loire), se concentrera sur les conditions d’agrément des associations pour agir en justice. A LIRE ICI
2. L’art et la stratégie de la citation directe
Vingt-cinq ans après la première plainte, les victimes de l’amiante espèrent toujours un procès et ont recours la citation directe.
Cette procédure, annoncée il y a plus de deux ans par Éric Dupond-Moretti – alors avocat de l’Ardeva (association régionale de défense des victimes de l’amiante) – mais qui n’a toujours pas été engagée, permet de saisir directement le tribunal sans passer par une instruction pénale, à charge pour les plaignants de collecter et de présenter les éléments de preuve à l’audience.
Cette citation directe a été annoncée comme publiquement présentée le 23 octobre à Dunkerque lors d’un rassemblement et sera par la suite déposée auprès du tribunal de Paris. Antoine Vey espère « que le tribunal audiencera ce procès dans des délais normaux » que « tout Français est en droit d’avoir », soit entre 18 et 24 mois, a-t-il affirmé lors de l’assemblée. A LIRE ICI
3. La justice : rapports et préconisations
D’abord, le rapport de la Cour des Comptes « Améliorer la gestion du service public de la justice »
La Cour publie des notes faisant partie d’un ensemble de travaux menés sur plusieurs grandes politiques publiques, qui identifient à la fois les principaux défis auxquels seront confrontés les décideurs publics au cours des prochaines années, et les leviers susceptibles de les relever. Dans le prolongement du rapport « Une stratégie de finances publiques pour la sortie de crise », remis en juin dernier au Président de la République et au Premier ministre, cette série de publications permet à la Cour de s’exprimer sur des sujets structurels. Avec ces notes à visée pédagogique, la Cour se place au cœur de sa mission d’information des citoyens, à un moment démocratique clé. A LIRE ICI ainsi que LA
La justice judiciaire bénéficie, depuis plusieurs années, d’évolutions destinées à améliorer la réponse apportée aux citoyens. Son budget a augmenté de 22% entre 2011 et 2021. A LIRE ICI
Pourtant, les délais de traitement des affaires civiles se détériorent, le stock des dossiers en attente augmente et les évolutions portées par la loi de programmation de la justice pour les années 2018-2022 peinent à se mettre en oeuvre. Trois réformes s’imposent à court terme pour répondre à ces faiblesses structurelles : la carte des cours d’appel doit être modifiée et leur nombre réduit ; la justice doit se doter d’outils d’évaluation de la charge de travail et améliorer la répartition des effectifs ; enfin, le ministère de la Justice doit rattraper le retard considérable accumulé en matière de transformation numérique.
Ensuite, le rapport sur les dysfonctionnements du service de la justice
Rapport au Parlement 2021 pour l’année 2020 en exécution de l’article 22 de la loi organique n°2007-287 du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats. Le présent rapport a pour objet d’exposer, au titre de l’année civile 2020, les actions en responsabilité engagées contre l’État du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice. Il présente les décisions définitives condamnant l’État à ce titre, devant les juridictions judiciaires internes (1) et la Cour européenne des droits de l’Homme (2), ainsi que les suites réservées à ces décisions (3). Le contentieux est traité, au sein du ministère de la justice, par le secrétariat général qui dispose à cette fin d’une sous-direction des affaires juridiques dédiée, dont l’un des bureaux traite des contentieux judiciaire et européen. LIRE ICI
À mettre en perspective avec, entre autres, le féminicide de Mérignac :
A LIRE ICI ainsi que LA
Enfin la question récurrente de la présomption d’innocence
Le groupe de travail sur la présomption d’innocence présidé par Élisabeth Guigou, ancienne ministre de la Justice, et installé en mai 2021 par Éric Dupond-Moretti, actuel garde des Sceaux lui a remis son rapport. A LIRE ICI
Éric Dupond-Moretti avait confié au groupe de travail la mission de dresser un état et une analyse des atteintes portées au principe constitutionnel de la présomption d’innocence dans notre société contemporaine, afin de faire des propositions utiles sur les moyens législatifs, réglementaires ou pratiques susceptibles de mieux en assurer le respect.
La présomption d’innocence, dont bénéficie toute personne suspectée ou poursuivie tant que sa culpabilité n’a pas été légalement établie, est un principe juridique consacré en Europe et dans le monde par de nombreux textes, conventions et traités (la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne…). En France, ce principe a été réaffirmé par la loi du 15 juin 2000 portée par Élisabeth Guigou renforçant la protection de la présomption d’innocence et le droit des victimes, venue compléter l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 9-1 du code civil.
La présomption d’innocence reste pour autant complexe à appliquer car elle s’articule avec le respect d’autres principes fondamentaux tels que la liberté d’expression, les droits des victimes, les droits de la défense ou encore le secret de l’enquête et de l’instruction.
Le groupe de travail composé de 13 membres magistrats, avocats, journalistes, enquêteurs a procédé à l’audition de plus de 80 personnes et a bénéficié de nombreuses contributions écrites venues d’horizons variés.
Ce rapport recense 4 pistes de réflexions permettant de décliner 40 propositions visant à renforcer la prévention des atteintes :
– L’éducation des citoyens aux grands principes du droit et au fonctionnement de la justice ;
– La formation des acteurs de la justice et des professionnels en lien avec l’institution judiciaire ;
– Le renforcement de la communication de la justice sur son fonctionnement et son action ;
– L’adaptation du dispositif civil et pénal à l’inflation des atteintes, notamment lorsqu’elles sont commises sur internet.
Pour Éric Dupond-Moretti « ces propositions d’une très grande qualité constituent une base solide pour susciter un véritable débat dans l’ensemble de la société et nourrir les travaux qui seront dès la semaine prochaine engagés dans le cadre des États généraux de la justice. »
III – Victimologie
1.Le guide pratique « Justice et handicap »
Les professionnels du droit doivent être formés à l’accessibilité. Cette approche leur permettra de recevoir tous les publics sans discrimination dans les meilleures conditions. Contrairement à une idée reçue, les personnes en situation de handicap ne disposent pas d’interlocuteurs spécifiques pour connaître et faire valoir leurs droits. Il incombe donc à tout un chacun de se sentir concerné.
Lecture indispensable : A LIRE ICI
2. Alex la tempête un an après
- Hommages et émotions :
3. L’article 88 du code civil
« Peut être judiciairement déclaré, à la requête du procureur de la République ou des parties intéressées, le décès de tout Français disparu en France ou hors de France, dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger, lorsque son corps n’a pu être retrouvé.
Peut, dans les mêmes conditions, être judiciairement déclaré le décès de tout étranger ou apatride disparu soit sur un territoire relevant de l’autorité de la France, soit à bord d’un bâtiment ou aéronef français, soit même à l’étranger s’il avait son domicile ou sa résidence habituelle en France.
La procédure de déclaration judiciaire de décès est également applicable lorsque le décès est certain mais que le corps n’a pu être retrouvé. »
4. Du côté des assureurs
5. Le rapport de La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE)
Ce rapport est un séisme pour l’Église, le JAC aura l’occasion de l’analyser plus amplement.
Nous reproduisons l’avant-propos :
« Avant-propos
Les violences sexuelles dans l’Église catholique
La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) a été créée à l’initiative de l’Église catholique en France avec quatre missions : 1/ faire la lumière sur les violences sexuelles en son sein depuis 1950; 2/ examiner comment ces affaires ont été ou non traitées ; 3/ évaluer les mesures prises par l’Église pour faire face à ce fléau ; 4/ faire toute recommandation utile.
La commission a été composée par son seul président, sans aucune interférence extérieure. Elle a réuni des femmes et des hommes connus pour leurs compétences et leur impartialité, de toutes opinions et confessions. Elle a fixé seule son programme de travail et disposé librement d’un budget qui n’était pas plafonné. Elle a accédé, comme elle le souhaitait, aux archives de l’Église.
Pour s’acquitter de sa mission, elle a consulté tous les experts qui pouvaient l’éclairer et elle a passé plusieurs contrats de recherche pour nourrir un état des lieux aussi complet que possible, aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif.
La commission a entendu placer les victimes au cœur de ses travaux. Ses membres ont écouté de nombreuses personnes ayant subi des agressions, non comme des experts, mais comme des êtres humains acceptant de s’exposer et de se confronter personnellement et ensemble à cette sombre réalité. Par cette plongée, ils ont entendu assumer la part de commune humanité, ici blessée et douloureuse, que nous avons en partage. On ne peut en effet connaître et comprendre le réel tel qu’il est, et en tirer les conséquences, si l’on n’est pas capable de se laisser soi-même toucher par ce que les victimes ont vécu : la souffrance, l’isolement et, souvent, la honte et la culpabilité. Ce vécu a été la matrice du travail de la commission.
Une conviction s’est imposée au fil des mois : les victimes détiennent un savoir unique sur les violences sexuelles et elles seules pouvaient nous y faire accéder pour qu’il puisse être restitué. C’est par conséquent leur parole qui sert de fil directeur au rapport de la commission. Ces personnes étaient victimes, elles sont devenues témoins et, en ce sens, acteurs de la vérité. C’est grâce à elles que ce rapport a été conçu et écrit. C’est aussi pour elles, et pas seulement pour nos mandants, qu’il l’a été. C’est sur cet échange singulier et invisible qu’il a été construit, sans que tout cela ait été aussi clairement pensé à l’avance.
Au demeurant, si la chape de silence recouvrant les forfaits commis a fini par se fissurer, être fracturée et susciter une onde de choc et de soutien dans l’opinion, on le doit au courage des personnes victimes qui, surmontant leurs souffrances, ont pris sur elles, en dépit de multiples obstacles, de dire ce qui leur était arrivé dans un cercle intime, puis auprès des responsables concernés et enfin à la justice et au public. Sans leur parole, notre société serait encore dans l’ignorance ou le déni de ce qui s’est passé.
Le rapport de la commission est donc imprégné de l’expérience singulière, souvent bouleversante, de la rencontre et de la reconnaissance des personnes ayant subi des violences sexuelles. Ce long cheminement a été éprouvant pour beaucoup de victimes, en ravivant de profondes douleurs : de cela, la commission est intensément consciente. Il n’a pas non plus laissé indemnes ses membres et, plus largement, toutes celles et ceux qui ont travaillé avec la commission. Ces personnes ont ressenti une profonde charge émotionnelle, elles ont été bouleversées, souvent blessées ou révoltées, et elles sont sorties de cette traversée à la fois changées et plus soucieuses encore d’être à la hauteur de la confiance reçue.
Au terme de son travail, la commission a dressé un état des lieux des violences sexuelles dans l’Église qui est particulièrement sombre. Le nombre des victimes mineures de clercs, religieux et religieuses dans la population française de plus de 18 ans est en effet estimé à environ 216 000. Si ces violences ont d’abord baissé en valeur absolue et relative jusqu’au début des années 1990, elles ont cessé depuis lors de décroître. L’Église catholique est, hormis les cercles familiaux et amicaux, le milieu où la prévalence des violences sexuelles est la plus élevée.
Face à ce fléau, l’Église catholique a très longtemps entendu d’abord se protéger en tant qu’institution et elle a manifesté une indifférence complète et même cruelle à l’égard des personnes ayant subi des agressions.
Si, depuis 2000 et, plus encore 2016, elle a pris des décisions importantes pour prévenir les violences sexuelles et les traiter efficacement, ces mesures ont été souvent tardives et inégalement appliquées. Prises en réaction aux évènements, elles sont apparues à la commission comme globalement insuffisantes. Au fil d’un diagnostic serré sur tout ce qui, au sein de l’Église catholique, a pu favoriser les violences sexuelles et faire obstacle à leur traitement efficace, la commission présente 45 recommandations qui couvrent un très large spectre allant de l’accueil et de l’écoute des victimes à la réforme du droit canonique, à la reconnaissance des infractions commises, qu’elles soient ou non prescrites, et à l’indispensable réparation du mal fait. Sans s’élever audessus de sa condition, la commission propose des mesures sur les questions de théologie, d’ecclésiologie et de morale sexuelle parce que, dans ces domaines, certaines interprétations ou dénaturations ont, selon elle, favorisé abus et dérives. Elle fait aussi des propositions dans les domaines de la gouvernance de l’Église, de la formation des clercs, de la prévention des abus et de la prise en charge des agresseurs.
Face à tant de drames anciens ou récents, la commission estime qu’il ne peut être question de « tourner la page ». L’avenir ne peut se construire sur le déni ou l’enfouissement de ces réalités douloureuses, mais sur leur reconnaissance et leur prise en charge. Il est essentiel de rendre réellement justice aux femmes et aux hommes qui, au sein de l’Église catholique, ont dans leur chair et leur esprit souffert de violences sexuelles. Par conséquent, tout doit être entrepris pour réparer, autant qu’il est possible, le mal qui leur a été fait et les aider à se reconstruire. Pour éradiquer aussi le terreau des abus et de leur impunité. Cette démarche ne peut pas éluder une humble reconnaissance de responsabilité de la part des autorités de l’Église pour les fautes et les crimes commis en son sein. Elle implique, à la hauteur de ce mal, un chemin de contrition qui ne peut pas être conçu et parcouru en quelques jours ou semaines.
Après ce qui s’est passé, il ne peut y avoir d’avenir commun sans un travail de vérité, de pardon et de réconciliation, et cela vaut pour l’Église comme pour les institutions civiles. La commission a cherché à contribuer au travail de vérité. C’est à l’Église de s’en emparer et de le poursuivre, afin de retrouver la confiance des chrétiens et le respect de la société française dans laquelle elle a tout son rôle à jouer. Il est impératif de rétablir une alliance qui a été durement mise à mal. C’est le vœu qu’avec mes collègues je forme ».
Jean- Marc Sauvé
Président de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église
A LIRE ICI « DE VICTIMES A TEMOINS »
6. Le rapport annuel du ministère public
Là encore, l’avant-propos sous la plume d’Olivier Christen, Directeur des affaires criminelles et des grâces, est éclairant.
« Le rapport annuel du ministère public 2020 s’inscrit dans le contexte tout à fait inédit d’une crise sanitaire qui perdure encore à ce jour. Il rend compte de l’activité d’une année exceptionnelle à bien des égards, qui a bouleversé la vie des juridictions.
Le mouvement de grève des avocats a nécessité une adaptation judiciaire dans un climat parfois difficile. La déclaration de l’état d’urgence sanitaire, l’instauration d’un confinement, la fermeture des écoles et l’activation des plans de continuation d’activité ont profondément pesé sur les personnels de la justice, contraints de repenser dans l’urgence leur organisation afin de répondre au mieux aux attentes des justiciables. Cette période difficile a mis à l’épreuve nos pratiques et témoigne à nouveau, en dépit des critiques qui ont pu être formulées, du sens des responsabilités, de l’engagement et des grandes facultés d’adaptation du ministère public.
Malgré ces crises, les juridictions ont relevé le défi de l’entrée en vigueur du « bloc peines ». La mobilisation des parquets s’est en 2020 portée en priorité sur la lutte contre les violences et les homicides conjugaux, les trafics de stupéfiants, la délinquance d’opportunité, les atteintes aux forces de l’ordre ou encore sur le développement de la justice de proximité engagé dès le dernier trimestre de l’année. Ces thématiques qui témoignent de votre travail au quotidien sont développées dans ce rapport annuel avec le double objectif de valorisation de l’investissement des ressorts dans la mise en oeuvre de ces politiques pénales d’une part, d’analyse des pistes d’amélioration d’autre part. Attentif à vos besoins d’outils pratiques dans la conduite de l’action publique, j’ai souhaité cette année moderniser le rapport annuel du ministère public dans un format plus dynamique. Les synthèses des différentes thématiques seront prochainement mises en ligne sur le wiki DACG afin de regrouper toute la ressource relative à un même contentieux pour un accès simplifié à la documentation. S’agissant des pratiques innovantes relevées dans les juridictions, que vous retrouvez comme chaque année dans les encarts dédiés, certaines font déjà ou feront l’objet d’un article intranet au titre des bonnes pratiques.
Les rapports que vous nous transmettez représentent un intérêt majeur pour la direction des affaires criminelles et des grâces. Je souhaite que ce RAMP constitue pour vous un document de référence et que son apport soit à la mesure de votre investissement dans la rédaction de vos contributions ».
IV – Chronique du Vendredi-13
Cette chronique n’a pas vocation à être exhaustive. Elle est une contribution subjective, un regard décalé. Tous les grands médias couvrent largement au quotidien et au long cours ce procès de la barbarie et de l’effroi.
Numéro 2 et 3
Chronique du Vendredi 13, numéro 2 (semaine 2) :
Numéro 2 (Semaine 2)
#attentats #Bataclan #attentats13novembre
Le train de 5 heures m’arrache à la belle et douce Montpellier.
Un film projette en salle d’audience trois supporters du Bayern de Munich. 21H05 : Marche à pas longs, décontractés, vers les portes du stade de France.
A partir de ce moment précis, vendredi 13 novembre 2015, toutes les cinq minutes, le sang de Paris coulera sous les assauts de neuf bombes humaines. 21h16 : Ahmad El Mohammad explose porte D. Sa folie meutrière emporte le pauvre Manuel Colado Dias qui buvait tranquillement un café après avoir conduit des supporters.
21H20 : Mohammad Almahmad explose et s’éparpille porte H.
Au même moment, le « groupe Omar » Abdelhamid Abaaoud, Chakib Akrouh et Brahim Abdeslam fusillent Paris.
21H24 : 13 morts, des dizaines de blessés au bar le Carillon et au restaurant le Petit Cambodge.
21H26 : 5 morts, des dizaines de blessés au café la Bonne Bière et au restaurant Casa Nostra.
21H36 : 21 morts, des dizaines de blessés au restaurant la Belle Equipe.
21H41 : Ibrahim Abdeslam explose au restaurant Comptoir Voltaire. Les deux autres s’enfuient.
21H47 : le Bataclan, rempli de 1500 amoureux de rock, est fusillé par le « groupe français », Samy Amimour, Foued Mohamed Aggad et Ismaël Omar Mostefaï). 90 morts, plusieurs centaines de blessés.
A 21h53 : au stade de France, La troisième bombe humaine du « groupe Irakien » Bilala Hadfi se dirige vers la porte G, hésite et choisi le Mac Do, refuge de plusieurs personnes après les deux premières explosions.
Le match commencé à 21h15, se jouera jusqu’à la fin.
22H14 : les deux mitrailleurs du commando des terrasses sautent au-dessus de la barrière de la station de métro Croix de Chavaux. Ligne 9. Sur la vidéo diffusée sur l’écran de la salle d’audience, ce sont des passagers des lignes sous-terraines de mon quotidien. Capuchés d’un sweet shirt, survêtement et chaussures de sport. Ils sont sereins. Des voyageurs sans soucis. Ils venaient d’assassiner 39 hommes, femmes, d’en blesser une centaine. Leurs complices poursuivaient le carnage dans le Bataclan.
Ils ne savaient pas que le 18 novembre 2015, ils mourraient eux aussi dans l’appartement de Jawad Bendaoud.
Nous suivons ainsi le parcours des terroristes exposé par le Carré, symétrique, et ordonné commissaire de la SDAT. Enquête « totale » et « internationale » contre « ampleur « et « sophistication » des attentats. Les vehicules laissés sur place. Loués en Belgique. Géolocalisés. Les contrats de location dans la boite à gants. Des GPS avec les adresses. Des traces d’adn. Les documents d’identité de Brahim Abdeslam. Un téléphone dans une poubelle. La ceinture explosive défectueuse sur une barriere. L’ordinateur avec les fichiers. Il décline la préparation minutieuse. L’arrivée des commandos de syrie. La location des planques. Les lignes dédiées. 9 gilets explosifs. 6 fusils d’assaut. 5 couteaux de bouchers avec lame de 30 centimètres. Il conclut en chiffres. 1700 appels sur la ligne verte. 8000 fiches de renseignement. 4000 scellés. 5338 procès verbaux établis en 11 jours. Des miliers d’auditions. D’exécutions de commission rogatoire. 5 ans d’enquête. Le lendemain, dans une douce rondeur débordant d’humanité, la juge d’instruction belge est intarissable. Elle s’est assise confortablement devant le micro, et là…j’ai compris que je ne sortirai pas de la salle d’audience avant 21h, au mieux…Revue des lignes téléphoniques belges. Des voyages en syrie des kamikazes. Le bar les Beguines à Molenbeeck, propriété des frêres Abdeslam. Entre amis, dans l’arriêre salle, ils projetaient des vidéos. Les « exploits » d’Abdelhamid Abaaoud, des tètes de « mécréants » accrochées à son pick up… Le pilote jordanien brulé vif dans une cage, sur laquelle on reconnaitrait l’un des accusés, (Omar Krayem)…Il est question de l’attentat du Thalys, de l’aéroport de Zaventen, du réseau de faux documents « Catalogue »…
Finalement, elle reviendra.
Les enquêteurs défilent. Chacun sa scêne de crime. Stade de france. Petit cambodge. Carillon.La Bonne Biere. Casa Nostra. Comptoir Voltaire. Bataclan. Ils déposent, accrochés à la barre de la salle d’audience, sous anonymat ou pas. On admire le courage exemplaire dont ils ont du s’armer pour accomplir leur travail. Enfouir leur humanité au plus profond d’eux. La cadenasser. Ne pas être submergé. Supporter les téléphones qui s’agitent, carillonnent , vibrent dans les poches des corps morts, sur le sol détrempé écarlate.
21h30- Passage des contrôles pour sortir du palais. Rejoindre le métro. Arrêt Franklin Roosevelt. Couper cette semaine pour respirer Paris. Le voilà! l’arc de triomphe emballé. Magnifique oeuvre d’art de l’artiste décédé (Christo). Il est tard. Quelques efforts pour boire un peu de cette culture française qui autorise l’art, et crée le débat. La magie n’opère pas. L’image des accusés installés par ordre alphabetique dans les deux box. les flots d’émotions. Tout est là sur les Champs Élysées. Je ferme les yeux.
Un film muet remplit la cours d’assises. L’enquêteur nous a prévenu.« Ce que vous allez voir est d’une extrême violence ». Les caméras de surveillance parisiennes n’ont rien raté. On est devant le bar la Bonne Bière. Accrochés à nos sièges. Préparés au pire. Tête baissée pour traverser le mur de l’horreur. La terrasse est animée de discussions, de rires, de boissons. Les terroristes surgissent en noir et blanc sur le grand écran de la salle d’audience. Kalashnikov à la main. Les corps giclent, se tordent, s’effondrent dans des mouvements aveugles et saccadés. Tables, verres, vitrines explosent. Un véhicule vide apparait sur l’écran, avance lentement, butte contre le trottoir, et rebondit. Un passant s’enfuit. Puis on est à l’intérieur de la pizzéria Casanostra. La caméra de l’établissement a capturé l’image du terroriste. Tirs en continus en noir et blanc. Pointe l’arme vers le sol. Vise sa proie. Une éternité et rien…Il fait demi tour et part. Un miracle à la chevelure blonde se léve et cours loin.
Un enquèteur étouffe un sanglot. il était vissé â son professionnalisme pour garder sa raison. Accomplir les actes que l’on attend de lui: constater, recueillir les traces et indices, dans le sang, les os, les dents, les chairs, les corps enchevêtrés, déchiquetés par les balles, figés par la mort.
Les difficultés d’identification des corps sans visage. Certains traversés par 12 balles, ou 16 balles, ou 32 balles de rage meurtrière.
Certains portent encore en eux les séquelles des erreurs. Culpabilité douloureuse, palpable. Réminiscence des larmes et les cris des parents, découvrant un corps qui n’est pas celui de leur enfant. Chacun a fait de son mieux.
Reprise d’audience. Dans le Bataclan, pas de caméra de surveillance. Un dictaphone Olympus se trouvait là, en mode enregistrement. Le concert puis l’attaque. L’idée d’un spectateur de garder un souvenir en bravant l’interdit. Le cauchemard y sera gravé et placé sous scellés. La chanson « kiss of devil » commence et on entend 36 secondes de Rafales, puis coup par coup puis rafale. L’enquêteur arrête la diffusion. Il répète quelques invectives et ordres des terroristes. « Debout! Assis! je t’avais dit de te lever! » Coup de feu! Coup de feu! Coup de feu! Des exécutions. Les crânes explosent. Les corps s’empilent. L’enquêteur ne diffusera pas les 2h30 d’enregistrement au cours desquels les amoureux de rock mourraient dans les hurlements des terroristes.
Les photos de l’après projetées témoignent de la panique. Des traces de tentative de fuite de certains. Chasse de toilettes arrachés, faux plafond crevé, laine de verre tirée. Regagner les combles, passer par les toits, s’entasser dans les toilettes, dans des placard, trouver un trou pour se cacher, atteindre une sortie de secours.
Sous la lumiêre puissante et glaciale des spots de la salle de spectacle, des corps emmêlés, des morceaux d’humains, d’os, le sang, ne laissant plus percevoir la couleur du sol. Et puis les corps des terroristes éparpillés qu’il fallait reconstituer.
L’enquêteur très emu explique ses constatations. Et encore les problèmes d’identification. Il se défend un peu. Son métier, ce n’est pas l’identification. Douloureux constat d’impuissance. Il est intervenu à partir de 5 h du matin après les secours, après le raid. Bien sûr, il a fait ce qu’il a pu, et même au delà. Il aurait voulu faire plus, mieux, plus vite…
J’entends la souffrance de ces enquêteurs. hommes de terrains, directement confrontés la mort en masse. Il y a ceux qui viennent à l’audience. Mais il y a aussi tout les autres. J’espère qu’ils ont bénéficié d’une prise en charge psychique à la hauteur de ce traumatisme perceptible et actuel. Ils ne doivent pas être les oubliés comme tout les primo-intervenants. Ecartelés entre les demandes des proches et les ordres de leur hiérarchie.
A la suspension, une victime m’interpelle. « Je n’ai jamais récupéré mes affaires. Je n’arrive pas à savoir oû elles sont! » Elle est perdue… Elle n’a même pas trente ans. « ils ne montrent rien! C’est horrible ce qu’on a vécu. Vous ne pouvez pas vous rendre compte… Il faut que dans le box, ils comprennent. Il faut que la Cour comprenne»…Sentiment de frustration . Peur de ne pas être comprise et entendue. Peur de ne pas obtenir justice. Une telle horreur, aucun mot, aucune image, aucun son ne peut la restituer.
Je repars à Montpellier. Me lover dans l’ accent du sud réconfortant. Les sons et les images en tête. Le violon retrouvé dans son étuis sur une chaise de la Bonne Bière. Le violoniste n’est plus. L’image de cette jeune femme morte accrochée à sa valise. Pour son voyage sans retour. D’autres tenant leur sac à main. L’homme tué par une balle entrée par sa fenêtre au premier étage, découvert le lendemain par des sapeurs pompiers. On n’avait plus de nouvelle. Il est nommé de façon horrible « victime collatérale ». Il s’appelait Stéphane. Le lendemain aussi, un autre Stéphane est découvert, laissé sous une couverture de survie dans le local administratif du Bataclan. Et la fosse du Bataclan devenue commune pour un temps…C’est dans cette fosse que les victimes que nous représentons avec Claude, se trouvaient.
Chronique du Vendredi 13
Numéro 3 (Semaine 3)
#attentats #Bataclan #attentats13novembre
Les cévenoles ont eu raison de ma ligne de train. Fini le TGV Montpellier Paris en 3H30! Rejoindre la gare Sud de France à 5 heures du matin. Errer dans des couloirs vides.
J’arrive toujours tôt devant le palais. J’y retrouve la longue barbe grise de Philippe. Protégé par son cordon rouge, il vient à chaque audience. Ecouter, observer, comprendre, sans forcément s’exprimer. La pétille de ses yeux a survécu aux attaques meurtrières.
Certaines parties civiles viennent ainsi au quotidien. Peut être dans l’espoir de retrouver la partie d’eux même restée dans l’attentat. D’autres vivent le procès à domicile, derrière la web radio, système innovant mis en place par la Cour d’assises. Beaucoup fuient le procès et laissent leurs avocats s’occuper de tout. Certaines viendront déposer. Et Il y a toutes les autres. Toutes les victimes non constituées. Chacune est singulière. Leur lien s’est d’abord construit autour des lieux. Il s’est ensuite resserré par le vécu commun de l’attentat. Une souffrance partagée, une compréhension, une empathie, et un respect réciproque.
L’audience reprend sur la terrasse de la Belle Équipe. Une enseigne à l’image du lieu. Une équipe! Des liens forts. Ce soir là, c’était la fête. L’anniversaire d’ Hodda, la directrice. Une photographie des 13 victimes fusillées allongées au sol sous des draps colorés est projetée en 4 par 3. Puis le film de l’entrée d’Ibrahim Abdeslam dans le comptoir Voltaire. Capturé en noir et blanc par la caméra de l’établissement. Un visage jeune. Sans expression particulière. Il avance entre les tables. Il explose en mille morceaux. Des personnes s’effondrent. Je regarde rapidement son frêre dans le box. Je ne perçois rien. Ses yeux sont fixes. Il est peut être fier de son frère.
Chaque jour, je m’assois â la même place, au premier rang. En face, 14 accusés , près de 40 avocats, la crème des avocats. Certains ont gagné le concours d’éloquence organisé à Paris. L’excellent Christian Saint Palais, adversaire redoutable dans le procès des attentats de janvier 2015 et dans l’affaire du médiator. Du côté des 2250 parties civiles constituées à ce jour, près de 400 avocats. A mes côtés, ils partageaient mon banc dans le procès des attentats de janvier 2015. Samia Maktouf, le soleil dans la peau, un doux accent oriental. Mehana Mouhou, philosophe, délicat et bienveillant. Mais aussi, Didier Seban, crépitant d’intelligence, toujours pertinent.
Trois commissaires se succèdent. Loin du dossier papier. Ils viennent poser leur tripe à la barre. Emaillant leur récit d’actes de bravoure accomplis face au danger. Pistolets automatiques contre Kalashnikov. Sens de la vie contre le goût de la mort.
Sans égard aux ordres, aux procèdures, aux risques, sauver des vie est l’impérium. Le seul guide du commissaire de la BAC ce soir là. Prise de service à 21h25. Il doit se rendre au stade de France. Des annonces fusent sur les ondes: fusillade à Bichat, fusillade à la fontaine au roi. Il bifurque, direction le coeur de Paris. Il pile devant le Bataclan. 1500 personnes sous les rafales. Les militaires de la force sentinelle immobiles en attente d’ordres qui ne viendront pas. Lui seul agit. Passer la porte d’entrée de la salle de concert. Un aller sans retour? Une masse arrive comme un animal à 20 têtes et 40 jambes qui détale, le visage de terreur d’une femme en proue. Ce sont des survivants. Par l’encoignure de la porte, il perçoit un homme armé d’un fusil d’assaut à l’étage.
Dans une simplicité toute naturelle, il partage ce vécu. Son coéquipier est avec lui. Ils progressent à l’intérieur. Radio éteinte. Un lourd silence épais et moite. Des corps entremélés dans la fosse, entassés par endroit sur un mêtre de haut. Le goût âpre de la poudre. L’odeur aigre du sang . « Comment en si peu de temps ont-ils pu tuer tout le monde? ». A 25 mètres d’eux, un homme, mains sur la tête, commence à s’agenouiller aux pieds du terroriste qui le tient en joue. Peut être le seul survivant. Le commissaire respire. Prend appui sur un rebord. Stabilise son pistolet automatique. Vise précisément le corps. Ajuste. Tire. Six balles sortent des deux pistolets. Le terroriste vascille. Son gilet explose. Une pluie de confettis de chair et de sang recouvre la scène. La jambe droite encore chaussée s’envole sur un plot à gauche de la salle, la tête roule à droite de la scène. Un bras, une main, un doigt s’éparpillent. L’otage lui, est sauf.
Une description sans emphase. Son retrait en arrière. Des mains ensanglantées apparaissent entre les battants de la porte. Attraper ces mains et extraire des blessés. Aller chercher un petit garçon de 5 ans apeuré sous le corps de ses parents. Sa fierté d’avoir ramené ses hommes vivants. Mais aussi, passant presque inaperçue, son impossibilité désormais de sortir sans son arme de service. Ce n’est plus le même homme. Il est partie civile et a bénéficié d’un statut dérogatoire pour déposer sous anonymat. Le commissaire et son équipier ont sauvé de nombreuses vies. Leur désobéissance, leur sang froid, leur courage et leur professionnalisme leur vaudront la légion d’honneur.
Au premier dans une petite pièce au bout s’un couloir, 50 otages, deux terroristes, deux gilets explosifs et deux kalashnikov. Un otage criait un numéro de téléphone pour le « chef de la police ». Les terroristes voulaient un appel.
La BRI arrive sur place, prend la direction des opérations. Ils ne savent pas qu’en bas, il n’y a que des victimes. Ils n’ont pas le numéro d’appel de l’otage. Ils n’ont pas les plans du Bataclan. Sécurisation du bas. un terroriste pourrait se glisser parmi les victimes. Puis arracher un plan sécurité incendie collé au mur. Aller à l’étage. Etablir le contact avec les terroristes. Mettre en oeuvre des négociations. Les aller-retours, les tergiversations, les hésitations. Plus de deux heures plus tard, le préfet de Paris ordonne l’assaut. Il est minuit dix-huit. Il faut composer la colonne. Les hommes de l’avant, face aux armes de guerre, engagent leur vie. Ils le savent et pourtant, aucune hésitation. Chacun accepte sa position. Contre l’usage, le commissaire lui même entre dans la colonne, avec ses hommes. Ils avancent, derrière le bouclier de 1,80 m de hauteur. Ils ont enfoncé la porte. En tête, le policier trébuche. Le bouclier tombe. Il continue quand même face aux terroristes. Le courage chevillé au coeur. Un terroriste est neutralisé. L’autre explose. Pour protéger la sortie des otages, un policier se couche sur la ceinture explosive encore intacte du deuxième terroriste. Tout ces hommes, anonymes, souvent pères de famille, ont risqué leur vie pour accomplir leur mission. Alors bien sûr le délai fut long, atroce pour les victimes. Certaines se vident de leur sang. D’autres s’enfoncent dans une panique silencieuse. Chaque minute est une blessure supplémentaire. Le commissaire de la BRI finit son intervention sous une mitraille de question. Lenteur de l’intervention, inutilité des négociations, manque de coordination entre les services. Est ce qu’ils auraient pu mieux faire? Dans le « brouillard de la guerre » exprimé par notre confrère Thibault de Montbrial, personne n’avait de vision globale et personne ne comprenait ce qu’il se passait. La résultat est là. Les 50 otages sont vivants. Alors, merci au nom des victimes que nous représentons et dont une a été transportée par trois policiers vers le point de tri des urgences. L’audience a pris l’habitude de se prolonger après 20h. Paris brille sous les lumières.
Un matin, les bancs des avocats côté parties civiles étaient clairsemés. Les journalistes aussi ont déserté la salle des pas perdus. Les experts n’attirent pas les foules.
Sur l’écran, les schéma des gilets explosifs. Un système « basic » avec des éléments vendus dans le commerce du coin pour un prix modique. Une confection simpliste. L’allumage: un bouton poussoir. La source d’énergie: une pile 9 volt. L’initiateur, L’explosif:le tatp (mélange d’eau oxygénée, d’acétone et d’acide tel du citron) dans du plastiques de sacs poubelles. La mitraille: des écrous de 6 mm. Arrangé dans un gilet et scotché. Arme à portée du tous. Puis l’expert ADN développe ses conclusions. Il fait parler les cellules bavardes retrouvées dans les voitures, les armes, des appartements.
L’image d’un cadavre projetée par le médecin légiste sur l’écran de manière inattendue secoue la salle. L’avocat voulait juste la confirmation que son client n’avait pas été torturé. Manifestement, pour le professeur Ludes, éminent scientifique, les images parlent mieux que les mots. Il projette le crâne, la colonne, le visage de face, la tête de profil. Les yeux clos, le teint blême d’un enfant malade, ce jeune homme sans vie semble endormi. Ce professeur est directeur de l’institut médico-legal. Les cadavres, les autopsies, son quotidien ont effacé le filtre. Il a du répondre des maladresses commises. On en a un exemple. La présentation d’un corps pour un autre devant des parents écrasés de douleur et d’incompréhension. La vitre qui sépare et éloigne les familles et leur défunt. La non restitution d’un corps dans des delais raisonnables. Le temps de présentation des corps aux familles parfois réduits à quelques minutes. L’impossibilité de voir les corps non identifiés pour les parents à la recherche de leur enfant. Lola recherchée 7 jours par ses parents. Il essuies les griefs des parties civiles encore meurtries par l’inhumanité subie dans ces moments d’intense douleur.
Le temps de recherche d’un proche est un mélange d’angoisse, d’espoir, de peur, de tristesse et de douleur. Ce fardeaux nous a été confié par les parents et le frère de Daniel. Sans nouvelle de lui suite à sa soirée au Bataclan, sans réponse à leur question, un numéro vert sonnant dans le vide, Ils ont parcouru les hôpitaux de Paris. Deux jours et deux nuits d’éternité, peuplés d’images, de mort et de prières.
A l’évocation de Lola, l’émotion interrompt les explications de la commissaire chargée de l’atelier victimes de la sous direction de la police judiciaire. Cette charge émotionnelle tranche avec ses explications techniques sur l’Instruction interministérielle du 12 novembre 2015 ( relative à la prise en charge des victimes d’actes de terrorisme, la veille des attentats). Elle parlait de « gestion » des victimes, des « chiffres »: les morts, les blessés, les « impliqués ». L’émotion la noie d’humanité.
A l’écoute, le terme « impliqués » n’évoquait rien pour moi. Il désigne les auteurs et non les victimes. Dans son esprit, il s’agissait des victimes non blessées physiquement. Mot très mal choisi par LA RESPONSABLE de « l’atelier victime ». La blessure psychique est certes invisible , mais elle existe. Reconnue en jurisprudence et en médecine comme génératrice de lourds handicaps chez les victimes souvent culpabilisées. Blessure par les mots.
Les audios et les vidéos s’emparent à leur tour de la salle d’audience. Avant les attentats, des Anasheed pour donner aux terroriste du coeur à l’ouvrage. Ces chants « religieux » envahissent l’espace sonore et s’imposent à nous. l’un « Tend ta main pour l’allégeance »
Chant rythmé, style rapp, mélodieux, avec les voix des frères Clain, patrons de la cellule communication de l’Etat Islamique, de la propagande, et du djihad médiatique. Ils chantent avec douceur un concentré de haine révoltant sous forme de rimes. Le chant au service du crime: « Tue sans hésitation…Fait les saigner…Coupe les têtes…Attaque les par surprise…Egorge les…achève le d’une balle dans la tête »… Couplets, refrains, couplet…Cela n’en finit pas.
Le lendemain des attentats, le 14 novembre les journaux de propagande de l’Etat Islamique Dabiq et Dar el slam publient le « Communiqué sur l’attaque bénie de Paris contre la France croisée ». L’analyse du commissaire de la SDAT est sans appel. Le communiqué est préparé avant les attentats. Les attentats devaient être p’us meurtriers encore. Il est mentionné 8 terroristes, le 14/11 seuls 7 sont morts. Le bilan annoncé est de 200 morts alors qu’il y en a eu 130. Les cibles cités (stade de France, Bataclan, des terrasses et bar du les 10, 11 et 18 ème arrondissement).Alors que le 18 ème fut épargné.
La vidéo de revendication publiée après la mort des deux terroristes des terrasses est diffusée en salle d’audience. Une affiche copiée sur le film Endgame, avec les visages des Kamikazes, le logo du rapp américain, un montage réalisé avec soins. Elle emprunte, au cinéma d’action, avec des effets spéciaux et des bruitages. Elle a les codes des jeux vidéos, les viseurs rouges clignotant sur les cibles (ex: sur François Hollande).
Au son d’un anasheed, la liste des cibles du 13 novembre est exposée. S’en suit un long discours d’un des terroristes. « Message aux mécréants…Vous allez goûter à la terreur…Nous sommes déjà chez vous pour vous égorger». Dans cette vidéo macabre et terrifiante de 17 minutes, les kamikazes du 13 novembre, un à un, procédent à 7 exécutions (5 par décapitation et 2 au fusil) réalisées et filmées en Syrie avant les attentats. Scénario identique pour chacun. L’ otage en orange à genoux. Le terroriste derrière lui en tenue militaire couleur sable, un long couteau en main. Il le tient par les cheveux. Il prononce sa profession de foi. « Nous avons reçu l’ordre. Nous allons venir chez vous vous égorger…». Le fait basculer et procède à l’exécution. Première étape du processus. Les images défilent. Les décapitations et executions filmées au ralentis sont expurgés de la vidéo diffusée dans la cour d’assises. Le film de 20 minutes du jordanien brûlé vif, dans une cage dans lequel un des accusé est reconnu n’est pas visionnée non plus.
J’ai une pensée pour les agents confrontés à l’obligation d’analyser ces vidéos. Une rude épreuve pour l’équilibre psychique face aux violences, aux cruautés et mises à mort. Cette confrontation avec la mort même indirecte n’est pas sans conséquence.
L’avocat général relève la volonté de l’État islamique, de corrompre les terroristes et de s’assurer de la loyauté de ses membres gràce à ces vidéos d’exécution. Impossible ensuite de reculer. Selon les propos du commissaire de la SDAT, seules les personnes mortes figurent sur les vidéos. L’avocat général questionne encore. Si les « combattants », lors de leur passage en Syrie sont acteurs de vidéos d’exécution pour un usage ultérieur, les accusés passés par la Syrie ont-ils tourné des vidéos avec des exécutions ? Réponse du commissaire : « C’est possible!»