Blandine Rolland
Professeur à l’Université de Haute-Alsace
Directrice du CERDACC
Les enjeux des entreprises qui exploitent une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) et qui se trouvent en difficultés financières, sont connus et bien identifiés. Un Guide élaboré sous l’égide notamment du Ministère de l’environnement et de la Chancellerie fait d’ailleurs le point sur leur situation (http://ssp-infoterre.brgm.fr/guide-attention-administrateurs-mandataires-judiciaires-et-inspection-icpe).
À ce titre, un arrêt de la Cour de cassation était attendu. Mais la portée de l’arrêt rendu par la chambre commerciale le 5 février 2020 (C. cass., ch. com., 5 février 2020, n° 18-23.961, FS-P+B : Rev. sociétés 2020, p. 191, note L.-C. Henry ; Gaz. Pal. 21 avril 2020, p. 71, note J. –L. Vallens ; Rev. proc. coll. 2020, Etudes 13, B. Rolland) doit malgré tout être relativisée strictement aux faits de l’espèce.
Le contexte
Une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) est exploitée par une entreprise qui se retrouve placée en procédure de liquidation judiciaire. Or cette activité est exercée sur un site loué. Le débiteur étant en cessation d’activité doit honorer les obligations découlant de la mise à l’arrêt définitif de l’installation. À ce titre, l’exploitant doit procéder d’abord aux mesures de mise en sécurité de l’installation puis de remise en état (dépollution) du site (C. env., art. L. 512-6-1 et R. 512-39-1, si l’installation est soumise à autorisation, art. L. 512-7-6 et R. 512-46-25, si elle est soumise à enregistrement, art. L. 512-12-1 et R. 512-66-1 si elle est soumise à déclaration). En l’espèce, l’exploitant n’y a pas fait face faute de moyens suffisants.
Par conséquent, le propriétaire du site prend l’initiative de commander un certain nombre de travaux (enlèvement, transport et traitement des déchets présents sur le site) relevant de la mise en sécurité et de la dépollution. Puis le bailleur se retourne contre le preneur en liquidation judiciaire afin de toucher une « indemnité correspondant à la contre-valeur des travaux à réaliser ». Le liquidateur s’y oppose mais est condamné par la cour d’appel à payer.
La portée de l’arrêt
La question décisive est celle de la qualification de cette créance afin de déterminer si elle est bien une « créance postérieure privilégiée » au sens de l’article L. 641-13 du code de commerce lui permettant d’être payée préférentiellement avant d’autres. La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel.
Il faut retenir que la question précise posée à la Cour de cassation est celle de la qualification de la créance invoquée par le bailleur dans le cadre de son recours indemnitaire contre son preneur. Ce recours porte sur le remboursement de travaux à accomplir en exécution d’une obligation légale pesant sur le preneur. Or pour le bailleur lui-même, il ne s’agit en aucun cas d’une obligation légale. En effet, le bailleur n’est jamais tenu, « en cette seule qualité », à la mise en sécurité ni à la remise en état du site de son preneur si l’on s’en tient au fondement de la police des ICPE (Jurisprudence constante du Conseil d’Etat et des juges administratifs). L’obligation légale du droit des ICPE ne pèse que sur l’exploitant c’est-à-dire le preneur. Cet arrêt doit en conséquence être analysé comme un refus de la Cour de cassation d’appliquer la qualification de créance d’origine légale à la créance due au bailleur par le preneur. La créance invoquée par le bailleur correspond au remboursement d’une démarche volontaire qu’il a eue et non à une obligation légale qui pesait sur lui.
Quant au caractère privilégié de la créance, la Cour de cassation décide qu’ « à supposer que la créance résultant de l’obligation du preneur de prendre en charge les frais de dépollution du site soit née, ainsi que le retient l’arrêt, de la cessation définitive de l’exploitation, postérieure à la liquidation judiciaire, cette créance n’est pas née pour les besoins du déroulement de la procédure ». Cette créance ne répond donc à aucune des deux conditions d’une créance postérieure privilégiée (caractère postérieur au jugement d’ouverture et caractère d’« utilité » pour la procédure collective). Elle refuse donc de reconnaître la qualité de créance postérieure privilégiée au sens de l’article L. 641-13 du Code de commerce à la créance de recours du bailleur.
Pour aller plus loin
La portée de cet arrêt ne doit pas être étendue de manière automatique à toutes les autres créances découlant des obligations environnementales de l’exploitant dictées notamment par le code de l’environnement ou par le code civil.
En particulier, reste entière la question de la qualification de la créance du préfet découlant de son arrêté de consignation, pris en raison de l’inexécution d’un arrêté de mise en demeure d’avoir à réaliser les travaux de mise en sécurité ou de remise en état du site (C. env., art. L. 171-8). Cette consignation est une sanction administrative qui laisse subsister l’obligation pour l’exploitant de faire les travaux de mise en sécurité puis de remise en état. La consignation est levée ultérieurement sur démonstration de l’exécution des travaux.
La question se pose aussi de la qualification des créances dues aux entreprises qui sont intervenues pour assurer la mise en sécurité effective du site (entreprises chargées de la gestion des déchets et de l’enlèvement des produits toxiques et polluants, serrurier, maçon, société de gardiennage, …) et la remise en état éventuelle du site (bureau d’étude chargé de préparer le mémoire de réhabilitation, entreprises intervenant ensuite pour la dépollution, …).
Enfin, l’éventuelle créance d’indemnisation du préjudice écologique due à une association de défense de l’environnement, au titre du Code civil (C. civ., art. 1246 sq.) ou la créance d’indemnisation des riverains touchés par une pollution industrielle, restent en suspens …
Le présent arrêt ne donne pas de solution à ces différentes situations. L’opération de qualification devra être poursuivie à leur égard par les praticiens et la jurisprudence (pour le point de vue universitaire, voir : B. Rolland, « Les dits et les non-dits de l’arrêt du 5 février 2020 rendu en matière de dépollution : petit exercice de qualification juridique d’une créance » : Rev. proc. coll. 2020, Etudes 13).
C. cass., ch. com., 5 février 2020, n° 18-23.961, FS-P+B
« LA COUR (…)
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société de prototypes et de circuits imprimés PCB (la SPCI PCB), a repris l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement sur un terrain donné à bail par la société Foncière Morillon G.Corvol (la société FMGC) ; que la SPCI PCB a été mise en liquidation judiciaire le 15 janvier 2014, la société SMJ étant désignée liquidateur ; qu’après la remise des clés par ce dernier à la société FMGC, le 5 juin 2014, celle-ci l’a assigné en paiement d’une indemnité correspondant à la contre-valeur des travaux à réaliser pour la mise en sécurité du site et sa dépollution, et en paiement des loyers et/ou indemnités d’occupation postérieurs au jugement d’ouverture ; (…)
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l’article L. 641-13 du code de commerce ;
Attendu que pour condamner le liquidateur à payer à la société FMGC la somme de 74 000 euros au titre des frais d’enlèvement, transport et traitement des déchets du site de la SPCI PCB, l’arrêt, après avoir énoncé qu’aux termes des articles L. 512-6-1 et L. 512-7-6 du code de l’environnement, la charge de la dépollution incombe au dernier exploitant du bien pollué, en l’espèce, la SPCI PCB, en déduit que c’est la mise à l’arrêt définitif de l’exploitation du site classé du fait de la liquidation judiciaire qui constitue le fait générateur de l’obligation de dépollution à la charge du dernier locataire ; qu’il retient que cette créance de dépollution postérieure au jugement de liquidation judiciaire, née pour les besoins du déroulement de la procédure, eu égard à l’obligation légale du liquidateur de dépolluer le site, doit être payée à son échéance ;
Qu’en statuant ainsi, alors que, à supposer que la créance résultant de l’obligation du preneur de prendre en charge les frais de dépollution du site soit née, ainsi que le retient l’arrêt, de la cessation définitive de l’exploitation, postérieure à la liquidation judiciaire, cette créance n’est pas née pour les besoins du déroulement de la procédure, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
Casse et annule (…) ».