LA QUALITE DE VICTIME D’UNE INFRACTION TERRORISTE, M. Lobe Lobas

Madeleine LOBE LOBAS

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace – HDR
Membre du CERDACC

 

Cass. crim., 15 févr. 2022, n° 21-80264, 21-80265, 21-80670

 Dans les trois arrêts rendus le 15 février 2022, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que les spécificités des attentats terroristes doivent conduire à adopter une conception élargie de la notion de partie civile.

Mots clés : Terrorisme – Action civile – Qualité de victime – Spécificité des infractions terroristes

Pour se repérer

1°) Les deux premières décisions sont relatives aux attentats de Nice de 2016. Un camion avait fait irruption sur la promenade des Anglais, tuant et blessant de nombreuses personnes, puis s’était immobilisé pour une raison mécanique, après avoir parcouru deux kilomètres. Une information judiciaire avait été ouverte pour assassinats, tentatives d’assassinats et complicité d’assassinats.

M. L qui se trouvait sur la plage ce soir-là avait entrepris, après avoir compris ce qui se passait, de poursuivre le camion afin d’en neutraliser le conducteur. Sa constitution de partie civile a été rejetée au motif, d’une part qu’il ne s’était pas trouvé directement et immédiatement exposé au risque de mort ou de blessure recherché par le conducteur, et d’autre part que les conséquences de l’attentat lui ont causé un traumatisme indéniable qui résulte de la vision des victimes percutées et décédées, mais qui relève du traumatisme vécu par les témoins des conséquences de l’infraction et non du préjudice d’une victime directe de la commission de celle-ci.

Mme D qui se trouvait également sur la promenade, avait entendu les cris de la foule et les coups de feu et, comprenant qu’un attentat était en cours, avait sauté sur la plage quatre mètres plus bas, se blessant à la tête. Pour déclarer sa constitution de partie civile irrecevable, la chambre de l’instruction énonce que par rapport à la trajectoire du camion, Mme D ne s’était pas trouvée directement et immédiatement exposée au risque de mort ou de blessure recherché par le conducteur.  Par ailleurs, la perception de la panique de la foule, la peur qui l’a atteinte en conséquence et les coups de feu entendus ayant occasionné un stress post-traumatique, relèvent du traumatisme vécu par les témoins des conséquences de l’infraction et non du préjudice d’une victime directe de la commission de l’infraction, que ses blessures physiques sont dues à la chute dans ces circonstances et non à un risque avéré d’impact avec le camion, de sorte que Mme D n’est pas une victime directe des faits.

2°) En 2017, à Marseille, un homme avait poignardé mortellement deux femmes et attaqué une patrouille militaire. Mme K était intervenue pour tenter d’arrêter le terroriste armé. Pour la chambre de l’instruction, Mme K ne s’était pas trouvée directement et immédiatement exposée au risque de mort ou de blessure recherché par le terroriste puisqu’après avoir délibérément porté des coups à deux d’entre elles, il a tenté de s’en prendre à des militaires, mais n’a eu aucun geste à l’encontre de Mme K lorsqu’elle est intervenue pour tenter de le maîtriser. Celle-ci n’était donc qu’un simple témoin des faits.

Pour aller à l’essentiel

Aux termes de l’article 2 du code de procédure pénale, l’action civile est ouverte à toute personne ayant personnellement souffert du préjudice causé par l’infraction. La victime doit donc établir un préjudice direct et personnel. Devant les juridictions d’instruction, il suffit que les circonstances fassent apparaître comme possible l’existence d’un préjudice et sa relation directe avec l’infraction. Il revient au juge d’instruction d’apprécier le caractère possiblement direct du lien de causalité entre le préjudice allégué par la personne et l’infraction. La chambre d’instruction, dans les décisions rendues, a déclaré les constitutions de partie civile irrecevables au motif que les personnes concernées n’étaient pas les victimes directes des infractions d’assassinat, de tentative d’assassinat ou de complicité d’assassinat dès lors qu’elles n’avaient pas été directement visées par l’auteur des faits.

Pour reconnaître la qualité de victime aux demandeurs, la Cour de cassation a tenu compte de la nature particulière des infractions terroristes. Il s’agit d’infractions dont les victimes ne sont pas nécessairement déterminées à l’avance de telle sorte que toute personne se trouvant sur les lieux de l’infraction peut prétendre avoir subi un préjudice. Dans ce contexte, la qualité de victime doit être effectuée au regard de chaque situation afin de caractériser le lien direct entre le préjudice allégué et l’infraction.

La Cour de cassation tient aussi compte de la répercussion de ces infractions sur le comportement des personnes présentes sur les lieux. La qualité de victime d’acte terroriste peut être reconnue à toute personne ayant subi un préjudice résultant d’un acte qu’elle a entrepris ou d’un comportement qu’elle a adopté lorsque cet acte ou comportement est indissociable de l’infraction terroriste. L’acte ou le comportement ne peut se comprendre qu’en se référant au contexte de la commission de l’attentat terroriste. Il en est ainsi :

– des individus qui se sont exposés à des atteintes graves à la personne et ont subi un dommage en cherchant à interrompre un attentat. Leur intervention est indissociable de l’acte terroriste : l’action dans laquelle M. L s’est engagé pour interrompre la commission ou empêcher le renouvellement d’atteintes intentionnelles graves aux personnes, auxquelles il s’est ainsi lui-même exposé, est indissociable de ces infractions, de sorte que le préjudice pouvant en résulter pour lui peut être en relation directe avec ces dernières (n° 21-80264) ;

 – des individus qui, se croyant légitimement exposés, se blessent en fuyant un lieu proche d’un attentat. Leur fuite est indissociable de l’acte terroriste : Mme D s’est blessée en tentant de fuir le lieu d’une action criminelle ayant pour objet de tuer indistinctement un grand nombre de personnes, à laquelle, du fait de sa proximité, elle a pu légitimement se croire exposée ; cette initiative indissociable de l’action criminelle qui l’a déterminée suffit à caractériser la possibilité du préjudice allégué et de la relation directe de celui-ci avec les assassinats et tentatives, objet de l’information (n° 21-80265);

 – de la personne qui tentée de maîtriser le terroriste qui poignardait une femme sur le parvis de la gare Saint-Charles, et ayant subi un traumatisme psychique important : l’action dans laquelle Mme K s’est engagée pour interrompre la commission ou empêcher le renouvellement d’atteintes intentionnelles graves aux personnes, auxquelles elle s’est ainsi elle-même exposée, est indissociable de ces infractions, de sorte que le préjudice pouvant en résulter pour elle peut être en relation directe avec ces dernières(n° 21-80670).

La Cour de cassation, cassant les décisions sans renvoi, a déclaré les constitutions de partie civile recevables.

 

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