LE REGIME JURIDIQUE DU TROUBLE PSYCHIQUE OU NEUROPSYCHIQUE RESULTANT DE LA PRISE VOLONTAIRE DE SUBSTANCES PSYCHOACTIVES, M. Lobe Lobas

Madeleine LOBE LOBAS

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace – HDR
Membre du CERDACC

 

Le législateur ayant toujours déterminé le régime juridique du trouble psychique ou neuropsychique par rapport à ses effets sur le discernement ou le contrôle des actes, la jurisprudence a considéré que l’origine du trouble était indifférente. Cette indifférence a conduit à s’interroger sur les hypothèses les plus diverses les troubles résultant des intoxications volontaires d’alcool ou de stupéfiants (E. Bonis, Trouble psychiques – Malades mentaux, Répertoire de droit pénal, Dalloz 2018, n° 63). Se posait notamment la question de savoir si une personne ayant volontairement consommé de l’alcool ou des stupéfiants pour se donner du courage avant de passer à l’acte pouvait être considérée comme irresponsable pénalement au motif que l’état d’ivresse, dans lequel elle se trouvait au moment des faits, était de nature à abolir son discernement.

Bien que la chambre criminelle ait énoncé que l’influence de l’ivresse sur la responsabilité pénale est une question de fait qui ne peut être résolue qu’en fonction de chaque espèce et, partant, qui relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond (Crim. 5 févr. 1957, Bull. crim. n° 112, RSC 1958. 93, obs. Legal), les solutions en la matière demeuraient incertaines, notamment lorsque l’auteur des faits avait commis une infraction intentionnelle.

Dans un arrêt du 13 février 2018, l’irresponsabilité pénale du mis en examen n’a pas été retenue au motif que la consommation importante de stupéfiants, soulignée par tous les experts, ayant provoqué son état mental ne doit pas s’analyser comme une cause d’abolition du discernement mais au contraire comme une circonstance aggravante, la consommation de cannabis ayant été volontaire (Cass. crim., 13 févr. 2018, n°17-86.952). Les juges avaient relevé plusieurs éléments objectifs militant en faveur, non d’une abolition, mais d’une simple altération de son discernement au moment des faits, tel que le choix des armes en contradiction avec un état de démence ou de fureur maniaque décrit par certains experts.

Dans le contexte des violences routières, la chambre criminelle refuse de requalifier l’homicide involontaire aggravé en violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner au motif que le conducteur n’était pas en état de vouloir causer la mort de la victime au regard de l’inconscience comateuse dans laquelle il se trouvait du fait de son alcoolémie (Crim. 22 juin 2016, n° 15-81725).

Dans l’affaire Halimi, la Cour de cassation, se retranchant derrière le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale, a considéré que les dispositions de l’article 122-1, alinéa 1er, du Code pénal, ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de ce discernement. Ainsi, celui qui commet un acte sous l’emprise d’une bouffée délirante ayant aboli son discernement au moment des faits ne saurait être tenu pénalement responsable, quand bien même ce trouble psychique aurait été causé par une consommation régulière de produits stupéfiants, dès lors qu’aucun élément du dossier n’indique que cette consommation a été effectuée avec la conscience que cet usage de stupéfiants puisse entraîner une telle bouffée délirante (Cass. crim. 4 avr. 2021, n° 20-80.135 : D. actu. 28 avr. 2021, obs. S. Hasnaoui-Dufrenne, JCP G 2021, 521, note F. Rousseau ; JCP G 2021, 522, note E. Dreyer ; D. 2021, p. 875, obs. Y. Mayaud). Elle renvoyait ainsi la balle au législateur, balle que ce dernier n’a pas tardé à sa saisir.

La loi n° 2022-52 du 25 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure vient poser des limites aux principes relatifs à l’irresponsabilité ou à l’atténuation de responsabilité pour trouble psychique ou neuropsychique (I). Elle crée également de nouvelles incriminations sanctionnant certaines atteintes contre les personnes consécutives à une absorption volontaire de substances psychotropes (II). Elle aggrave les peines du meurtre, des tortures ou actes de barbarie, des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, des violences volontaires ayant entrainé une mutilation ou une infirmité permanente lorsque ces infractions sont commises par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants.

I – Les limites au principe de l’irresponsabilité pénale pour trouble mental en cas d’absorption volontaire de substances psychoactives

L’article 122-1 du code pénal qui prévoit l’irresponsabilité pénale lorsque l’auteur de l’infraction agit sous l’empire d’un trouble mental ayant aboli son discernement ou une diminution des peines lorsque le discernement a seulement été altéré peut ne pas recevoir application lorsque le trouble mental est la conséquence d’une absorption volontaire de substances psychoactives telles que l’alcool, des stupéfiants ou des médicaments. L’auteur des faits peut alors être déclaré pénalement responsable.

A -L’exclusion de l’irresponsabilité pénale cas de trouble psychique ou neuropsychique résultant d’une intoxication volontaire

Selon l’article 122-1 du code pénal, n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. Toutefois, aux termes du nouvel article 122-1-1 CP, l’irresponsabilité pénale de l’auteur des faits ne peut être déclarée si l’abolition temporaire du discernement de la personne ou du contrôle de ses actes au moment de la commission d’un crime ou d’un délit résulte de ce que, dans un temps très voisin de l’action, la personne a volontairement consommé des substances psychoactives dans le dessein de commettre l’infraction ou une infraction de même nature ou d’en faciliter la commission.

La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. Elle peut alors diminuer la peine dans les proportions prévues par la loi (art. 122-1 al. 2 CP). Selon l’article 122-1-2 CP, la diminution de peine n’est pas applicable en cas d’altération temporaire du discernement de la personne ou du contrôle de ses actes au moment de la commission d’un crime ou d’un délit lorsque cette altération résulte d’une consommation volontaire, de façon illicite ou manifestement excessive, de substances psychoactives.

Lorsque le juge d’instruction, au moment du règlement de son information, estime que l’abolition temporaire du discernement de la personne mise en examen résulte au moins partiellement de son fait et qu’il existe une ou plusieurs expertises concluant que le discernement de la personne était seulement altéré, il renvoie celle-ci devant la juridiction de jugement compétente qui statue à huis clos sur l’application de l’article 122-1. Si la personne n’est pas déclarée pénalement irresponsable, le dossier est renvoyé à une audience ultérieure pour être examiné au fond conformément aux dispositions relatives aux jugements des crimes ou des délits (art. 706-120 CPP).

B – Les conditions d’engagement de la responsabilité en cas d’absorption volontaire de substances psychoactives

En excluant l’application des principes posés par l’article 122-1 du code pénal, la loi du 25 janvier 2022 permet, sous certaines conditions d’engager la responsabilité pénale de l’auteur lorsque celui a consommé volontairement des substances psychoactives avant la commission d’une infraction.

L’absorption de l’alcool ou des stupéfiants doit avoir causé un trouble mental temporaire. En conséquence, si l’auteur des faits ne recouvre pas sa lucidité, il ne sera pas pénalement responsable. Par ailleurs, le trouble mental doit se manifester au moment de la commission de l’infraction.

La consommation de substances psychoactives doit être volontaire et antérieure à la consommation de l’infraction. Toutefois, l’appréciation de cette condition dépend de la gravité du trouble.

S’agissant de l’abolition du discernement, l’absorption de produits psychotropes doit avoir été effectuée dans un temps très voisin de l’action. Il faut également que l’auteur des faits ait eu au moment de de la consommation des produits l’intention de commettre l’infraction. Ainsi, si l’auteur des faits est poursuivi pour homicide volontaire, le juge doit apprécier l’intention homicide, non pas au moment de la commission du meurtre, mais au moment de l’absorption des substances visées. Il faut donc démontrer que le meurtre a été prévu d’avance par l’auteur des faits et que celui-ci était lucide au moment de la consommation des substances psychoactives. C’est-à-dire que la personne a volontairement consommé des substances psychoactives dans le dessein de commettre une infraction ou de faciliter sa commission ; elle a consommé des produits toxiques pour faciliter le passage à l’acte après avoir forgé son projet criminel. Il reste à déterminer la situation de la personne dont le discernement était seulement altéré en raison d’un trouble pathologique lors de l’absorption des produits psychoactifs (J-C Saint Pau, La responsabilité pénale en cas de trouble mental résultant d’une intoxication volontaire. Loi n° 2022-52 du 24 janvier 2002, JCP 2002, n° 7 doctr. 255).

Dans le cas de l’altération du discernement, la consommation volontaire des substances psychoactives peut être illicite, ce qui suppose l’utilisation des substances dont la consommation est interdite. Elle peut aussi avoir été effectuée de manière excessive, le juge étant alors appelé à apprécier selon les circonstances. Mais le critère de la temporalité n’est pas repris et la loi n’exige pas que la consommation volontaire soit effectuée dans l’intention de commettre l’infraction.

II – Les atteintes aux personnes résultant d’une intoxication volontaire

La loi du 25 janvier 2022 crée également de nouveaux délits qui s’appliquent aux personnes ayant bénéficié d’une irresponsabilité en raison d’un trouble mental résultant d’une intoxication volontaire.

A – Les différentes infractions

Le délit d’atteinte à la vie résultant d’une intoxication volontaire sanctionne le fait pour une personne ayant consommé volontairement, de façon illicite ou manifestement excessive, des substances psychoactives en ayant connaissance du fait que cette consommation est susceptible de la conduire à mettre délibérément autrui en danger, lorsque cette consommation a entraîné un trouble psychique ou neuropsychique temporaire sous l’empire duquel elle a commis un homicide volontaire dont elle est déclarée pénalement irresponsable en application du premier alinéa de l’article 122-1 (art 221-5-6 CP). Le délit est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. La peine est portée à quinze ans de réclusion criminelle si l’infraction a été commise par une personne qui a été précédemment déclarée pénalement irresponsable d’un homicide volontaire en raison d’une abolition de son discernement ou du contrôle de ses actes résultant d’un trouble psychique ou neuropsychique temporaire provoqué par la même consommation volontaire de substances psychoactives.

Le délit d’atteinte à l’intégrité de la personne résultant d’une intoxication volontaire est défini à l’article 222-18-4 du code pénal comme le fait pour une personne d’avoir consommé volontairement, de façon illicite ou manifestement excessive, des substances psychoactives en ayant connaissance du fait que cette consommation est susceptible de la conduire à mettre délibérément autrui en danger, lorsque cette consommation a entraîné un trouble psychique ou neuropsychique temporaire sous l’empire duquel elle a commis des tortures, actes de barbarie ou violences dont elle est déclarée pénalement irresponsable en application du premier alinéa de l’article 122-1. Comme pour les violences volontaires, les peines varient en fonction du résultat de l’acte : sept ans  d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende, si les tortures, actes de barbarie ou violences ont entraîné la mort ;  cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, si les tortures, actes de barbarie ou violences ont entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ;  deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, si les tortures, actes de barbarie ou violences ont entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours. En cas de récidive, les peines sont respectivement portées à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende, à sept ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende et à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

L’article 222-26-2 du code pénal incrimine le fait pour une personne d’avoir consommé volontairement, de façon illicite ou manifestement excessive, des substances psychoactives en ayant connaissance du fait que cette consommation est susceptible de la conduire à mettre délibérément autrui en danger, lorsque cette consommation a entraîné un trouble psychique ou neuropsychique temporaire sous l’empire duquel elle a commis un viol dont elle est déclarée pénalement irresponsable en application du premier alinéa de l’article 122-1.Les peines sont de dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende, si le viol a été commis avec des tortures ou des actes de barbarie ou s’il a entraîné la mort. Dans les autres cas, la peine encourue est de sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende dans les autres cas. En cas de récidive d’intoxication volontaire, les peines sont portées respectivement à quinze ans de réclusion criminelle et à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende. Dans les cas prévus au présent alinéa, les articles 132-8 et 132-9 ne sont pas applicables.

B – Les éléments constitutifs des atteintes résultant d’une intoxication volontaire

Divers éléments sont communs aux différentes infractions lesquelles se distinguent par le résultat. L’auteur doit avoir réalisé soit un homicide volontaire, soit une atteinte à l’intégrité physique de la personne, soit un viol. Pour le délit d’atteinte à l’intégrité physique, l’auteur doit avoir commis des tortures, actes de barbarie ou des violences. S’agissant des violences, il doit s’agir des violences ayant entrainé la mort sans intention de la donner, des violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, ou des violences ayant entrainé une incapacité totale de plus de huit jours. Dans toutes ces hypothèses, l’auteur dont le discernement est aboli après une intoxication volontaire est poursuivi pour avoir commis infraction intentionnelle.

L’auteur des faits doit avoir consommé volontairement, de façon illicite ou manifestement excessive des substances psychoactives. Cette consommation doit avoir causé un trouble psychique ou neuropsychique temporaire.

La consommation doit avoir entraîné un trouble psychique ou neuropsychique temporaire sous l’empire duquel l’auteur a commis les infractions visées et pour lesquelles il a au préalable bénéficié d’une déclaration d’irresponsabilité en application de l’article 122-1 alinéa 1 du code pénal. A cette fin, le nouvel article 706-139-1  du code de procédure pénale dispose que lorsque le juge d’instruction est saisi d’une information sur le fondement des articles 221-5-6, 222-18-4 ou 222-26-2 du code pénal et décide du renvoi de la personne mise en examen devant la juridiction de jugement du chef de ces incriminations, il est tenu, dans son ordonnance de règlement, de préalablement déclarer, en application du premier alinéa de l’article 122-1 du même code, que celle-ci est pénalement irresponsable des faits commis à la suite de sa consommation volontaire de substances psychoactives. Lorsqu’est posée devant la cour d’assises la question de l’application du premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal à l’égard d’un accusé mis en accusation pour meurtre, assassinat, tortures ou actes de barbarie, violences ou viol, le président pose la question subsidiaire portant sur les qualifications prévues aux articles 221-5-6, 222-18-4 ou 222-26-2 du même code s’il apparaît que l’abolition du discernement de la personne ou du contrôle de ses actes est susceptible de résulter d’une consommation volontaire de substances psychoactives (art. 709-139-2 CPP). Le délit n’est pas constitué si l’absorption volontaire d’alcool ou de stupéfiants a seulement altéré le discernement de la personne.

Tous les délits sont intentionnels bien que l’auteur ait agi sous l’empire d’un trouble mental ayant aboli son discernement. Le caractère intentionnel résulte d’une part, du fait que la consommation illicite ou de manière excessive de substances psychoactives a été volontaire et d’autre part, de la connaissance par l’auteur qu’une telle consommation est susceptible de le conduire à mettre délibérément autrui en danger. Mais la loi n’exige pas qu’il ait conscience de la nature effective du danger qu’il fait encourir aux tiers. Dès lors que l’intoxication est volontaire et que l’auteur avait conscience de la mise en danger d’autrui, il sera sanctionné au regard du dommage causé sous l’empire du trouble mental. L’appréciation de l’intention sera faite en fonction de la personnalité de l’auteur et des circonstances de l’infraction.

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