Isabelle Corpart
Maître de conférences en droit privé à l’UHA, CERDACC
Commentaire de Cass. 2e civ, 23 novembre 2017, n° 16-13.948
La question centrale de l’arrêt rendu par la Cour de cassation concerne la transmission à ses héritiers des préjudices subis par la victime, s’agissant de la mort par noyade dans une piscine d’un enfant de quatre ans. Qu’en est-il des préjudices reposant sur la perte de vie ou résultant des souffrances morales liées à la conscience de la mort prochaine ?
Mots clef : noyade – piscine – perte de vie – conscience d’une mort imminente – souffrances morales – transmission des préjudices – victime directe et victimes indirectes – action contre le constructeur – action contre les propriétaires de la piscine – droit des héritiers – difficultés de preuve.
Pour se repérer
Le 7 juin 2009, Valentin X âgé de quatre ans se noie dans une piscine. Il avait quitté le domicile familial pour aller jouer avec des petits voisins et il a trouvé la mort dans une piscine appartenant à la société La Garidella dont M. et Mme Z sont les associés.
Ses parents, M. et Mme X ont assigné en responsabilité et les propriétaires de la piscine, la société La Garidella et M. et Mme Z associés, ainsi que la société Melting Bat, en tant que constructeur de l’abri de la piscine. Ils agissent tant en qualité d’héritiers de leur fils pour les préjudices que ce dernier a directement subi, qu’en qualité de victimes par ricochet et en leur nom personnel.
Ils sont déboutés par la cour d’appel de Bastia le 20 janvier 2016 à la fois de leur demande d’indemnisation de la perte de chance de vivre et de la conscience de l’imminence de la mort et se pourvoient en cassation.
Pour aller à l’essentiel
Pour la Cour de cassation, la perte de sa vie ne fait en elle-même naître aucun droit à réparation dans le patrimoine de la victime aussi, classiquement, rejette-t-elle cette première demande. Seul peut être indemnisable le préjudice résultant de la souffrance morale liée à la conscience de sa mort prochaine, sous réserve toutefois que la démonstration puisse en être faite, ce qui relève du pouvoir souverain des juges du fond. Dès lors, la cour d’appel pouvait valablement refuser d’indemniser les parents car aucun élément du dossier ne permet d’établir avec certitude que, lors de sa noyade, le jeune enfant a eu conscience de l’imminence de sa mort.
Pour aller plus loin
Une nouvelle fois, il faut déplorer une mort par noyade dans une piscine, le dispositif de protection imposé par les réglementations n’ayant pas été performant (I. Corpart, Les normes de sécurité imposées aux propriétaires de piscines revues et corrigées, AJDI, 2004, 361 ; La lente et laborieuse normalisation de la sécurité dans les piscines privatives, AJDI mars 2005, 199 ; Piscines privées, JAC juill. 2004 ; Complément de sécurité pour les piscines, JAC févr. 2004).
En tant qu’héritiers de leur fils, ses parents, M. et Mme X ont effectivement vocation à recueillir dans sa succession l’indemnisation des préjudices qu’il a subis de son vivant. Néanmoins il a déjà été jugé que la perte de la possibilité de vivre, engendrée par le décès, n’est pas un préjudice que la victime subit de son vivant (Cass. 2e civ., 10 déc. 2009, n° 09-10.296 ; Cass. 2e civ., 20 oct. 2016, n° 14-28.866, D. 2016. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; D. 2017. 24, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz).
Il en va ainsi pour la triste mort de Valentin, aussi aucun droit à indemnisation n’a pu être transmis de ce chef à ses parents. Seuls les préjudices entrés dans le patrimoine du défunt à sa mort font partie des éléments transmissibles aux héritiers et la perte de vie ne constitue pas un préjudice indemnisable car il n’est pas déjà dans le patrimoine du défunt à sa mort. Ce préjudice résulte de la mort elle-même et donc il intervient trop tardivement pour être pris en considération, tandis qu’un préjudice d’espérance de vie pourrait quant à lui être retenu (P. Jourdain, Préjudice d’angoisse ou perte d’une chance de vie ?, Deux nouveaux arrêts sur la douleur morale ressentie par le blessé dont la mort est imminente, RTD civ. 2013. 614), cependant la Cour de cassation ne semble pas explorer cette piste en l’espèce. Son raisonnement est sévère car elle écarte les préjudices subis concomitamment à la mort, alors que l’on pourrait considérer à juste titre qu’ils sont subis par une personne encore en vie, même si ce moment est bien fugace.
La question concernait aussi un autre préjudice, à savoir la conscience qu’aurait pu avoir le très jeune enfant de l’imminence de sa mort, ce préjudice fort distinct de la perte de vie étant quant à lui jugé réparable par la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 20 oct. 2016, préc. ; Cass. 2e civ., 18 avr. 2013, n° 12-18.199).
Ce préjudice peut être appréhendé au travers des souffrances morales qui entrent dans le patrimoine de la victime (préjudice qui est inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées, quelle que soit l’origine des souffrances : Cass. 2e civ., 2 févr. 2017, n° 16-11.411, D. 2017. 350 ; LPA 2017, n° 113, p. 12, obs. R. Laulier ; Gaz. Pal. 25 avr. 2017, p. 23, obs. Z. Jacquemin, et 6 juin 2017, p. 66, note C. Bernfeld et L. Witz ; V. déjà Cass. crim. 23 oct. 2012, n° 11-83.770) et se transmettent à ses héritiers, cependant toute la difficulté tient aux questions de preuve. Il faut en effet que l’existence de ce préjudice soit établie avec certitude par les éléments du dossier. La conscience de la fin imminente peut être indemnisée et elle peut l’être à tout âge, même pour un très jeune enfant, à condition que les circonstances de l’accident ne privent pas la victime de la possibilité de subir un tel préjudice et que les preuves soient convaincantes, cette conscience ne pouvant pas être présumée en fonction du contexte et n’étant pas non plus automatique et toujours certaine. Encore faut-il précisément vérifier si la victime avait encore sa conscience à ce moment et si elle pouvait toujours ressentir ce préjudice (Cass. crim. 27 sept. 2016, n° 15-83.309, D. 2016. 2612, obs. M. Bouchet).
Les juges sont appelés à examiner les dossiers avec prudence pour ne pas indemniser sous plusieurs angles le même préjudice, notamment moral et lié aux différentes souffrances endurées. Sans doute peut-on expliquer de la sorte le deuxième rejet opposé aux parents qui n’obtiennent pas non plus réparation du préjudice lié à la conscience d’une mort imminente par leur jeune fils, néanmoins l’angoisse de la mort imminente semble être peu prise en considération, alors qu’elle devrait être davantage déconnectée des blessures.
Cet arrêt de la Cour de cassation ne remet toutefois pas en question le droit des parents, victimes par ricochet, qui sont indemnisés à hauteur de 25 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral personnel.
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Cass. 2e civ., 23 novembre 2017, n° 16-13.948
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bastia, 20 janvier 2016), que le 7 juin 2009, Valentin X…, âgé de quatre ans, qui avait quitté le domicile de ses parents pour jouer avec deux enfants d’une voisine, Mme Y…, est mort, noyé dans une piscine appartenant à la société La Garidella dont M. et Mme Z… sont les associés ; que M. et Mme X…, agissant en leur nom personnel et en qualité d’héritiers de leur fils Valentin, ont assigné en responsabilité la société Melting Bat, chargée de la construction de l’abri de piscine, ainsi que la société La Garidella et M. et Mme Z… ; que ces derniers ont mis en cause la société MAAF assurances, assureur de la société Melting Bat, ainsi que M. et Mme Y…, lesquels ont appelé en garantie leur assureur, la société GAN assurances ; que la liquidation amiable de la société Melting Bat étant intervenue en cours d’instance, M. et Mme X… ont mis en cause son liquidateur amiable, M. A… ;
Attendu que M. et Mme X… font grief à l’arrêt de les débouter de leur demande en indemnisation de la perte de chance de vivre et de la conscience de l’imminence de la mort, alors, selon le moyen :
1°/ que le droit à réparation du dommage résultant de la souffrance morale éprouvée par la victime avant son décès, en raison d’une perte de chance de survie, étant né dans son patrimoine, se transmet à son décès à ses héritiers ; qu’en retenant, pour débouter les époux X… de leur demande de réparation du préjudice subi par leur fils, tiré d’une perte de chance de vie, que la perte de possibilité de vivre n’était pas un préjudice que l’enfant avait pu subir de son vivant, quand la souffrance morale éprouvée par l’enfant en raison d’une perte de chance de survie était née dans son patrimoine avant son décès, et avait été transmise à ses parents, la cour d’appel a violé les articles 1382 et 731 du code civil ;
2°/ que le droit à réparation du dommage résultant de la souffrance morale éprouvée par la victime avant son décès, en raison de la conscience de sa fin imminente, étant né dans son patrimoine, se transmet à son décès à ses héritiers ; que ce préjudice est susceptible d’être subi par la victime quel que soit son âge, sauf s’il est établi qu’elle a été privée de conscience en raison des circonstances du fait dommageable ; qu’en considérant, pour écarter le préjudice du jeune Valentin, du fait de la souffrance morale éprouvée avant son décès, que la conscience qu’aurait pu avoir l’enfant de l’imminence de sa mort n’est pas établie avec certitude par les éléments du dossier, quand un tel motif était pourtant impropre à écarter l’existence du préjudice invoqué résultant de la conscience qu’avait pu avoir l’enfant de l’imminence de sa mort, en l’absence de toute circonstance dont il serait résulté que l’enfant avait été privé de conscience, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 731 du code civil ;
Mais attendu que la perte de sa vie ne fait en elle-même naître aucun droit à réparation dans le patrimoine de la victime ; que seul est indemnisable le préjudice résultant de la souffrance morale liée à la conscience de sa mort prochaine ; qu’ayant à bon droit énoncé que la perte de la possibilité de vivre, engendrée par son décès, n’était pas un préjudice que l’enfant Valentin avait pu subir de son vivant et, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve soumis à son examen, estimé qu’il n’était pas établi qu’il avait eu conscience de l’imminence de sa mort, la cour d’appel en a exactement déduit que celui-ci n’avait pas transmis à ses parents un droit à indemnisation de ces chefs ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme X… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes (…)