Philippe SCHULTZ
Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace- HDR
Membre du CERDACC
À propos de la résolution d’un bail conclu au nom d’une société en formation mise en liquidation judiciaire après son immatriculation (Cass. com., 15 janvier 2020, n° 17-28.127).
Mots clés : société en formation – bail commercial – clause de substitution – reprise des actes – résiliation – commandement de payer.
Pour se repérer
Durant la période de constitution d’une société unipersonnelle à responsabilité limitée, l’associé unique conclut, le 5 mars 2005, un bail commercial mentionnant qu’il est signé « pour le compte d’une société à constituer devant se substituer, qui aura pour objet l’exploitation d’un fonds de commerce dans le locaux loués ».
Le 4 février 2016 s’ouvre le redressement judiciaire de la société qui sera converti en liquidation judiciaire par jugement du 22 novembre 2016.
Ayant déclaré une créance au passif pour des impayés de loyers depuis octobre 2015, le bailleur introduit ensuite, le 5 octobre 2016, une requête en résiliation du bail pour des loyers impayés d’août à octobre 2016. Quant à l’associé unique de la société, il intervient volontairement à cette instance pour qu’il soit jugé qu’il est le seul titulaire du droit au bail.
Par ordonnance du 19 janvier 2017, le juge-commissaire rejette tant le requête du bailleur que la demande de l’associé unique. Les recours exercés respectivement par le bailleur et l’associé unique devant le Cour d’appel de Paris n’aboutissent pas davantage.
D’une part, dans son arrêt du 26 octobre 2017, la Cour d’appel de Paris juge qu’en raison de la clause de substitution stipulée au bail, la société était dispensée de respecter les modalités strictes de reprises prévues à l’article 1843 du Code civil. La société était bien devenue la preneuse. D’autre part, elle a refusé de constater la résolution de plein droit du bail au motif que le délai d’un mois à compter du commandement de payer, prévu par l’article L. 145-41 du Code de commerce, n’avait pas été respecté. En effet, le commandement avait été délivré la veille de l’audience durant laquelle le juge-commissaire devait statuer sur la requête en résiliation.
Les parties forment toutes deux un pourvoi en cassation. Dans le pourvoi principal, l’associé unique se fonde sur la violation de l’article 1843 du code civil et l’article 6 du décret n 78-704 du 3 juillet 1978 en ce que la Cour d’appel a admis la reprise du bail par la société unipersonnelle immatriculée sans constater le strict respect des formalités de reprise prévues par ces textes. Dans son pourvoi incident, le bailleur fait valoir que le délai d’un mois prévu par l’article L. 145-41 doit être apprécié au moment où le juge statue et lorsque la Cour d’appel a statué ce délai était expiré.
La Cour de cassation rejette le pourvoi principal. En revanche, sur le pourvoir incident, elle casse partiellement la décision par un moyen soulevé d’office.
Pour aller à l’essentiel
L’enseignement de l’arrêt du 15 janvier 2020 se dédouble : il concerne tant le droit des sociétés pour le pourvoi principal que le droit des entreprises en difficulté et, incidemment, celui des baux commerciaux pour le pourvoi incident. Pour le premier aspect, on peut y voir une évolution jurisprudentielle souhaitable. Pour le second, il s’agit de la confirmation d’un revirement de jurisprudence récent.
Sous l’angle du droit des sociétés, le pourvoi principal est rejeté au motif que, en l’état des termes de la clause de substitution stipulée au bail, qui dispensait la société de faire application des dispositions de l’article 1843 du code civil, la Cour d’appel de Paris a pu déduire, bien que les statuts de la société à associé unique ne mentionnent pas la reprise du bail dans ses annexes et qu’il n’existe aucun mandat écrit autorisant l’associé unique à contracter le bail au nom de la société, que les parties avaient la volonté de substituer la société à son associé lors de la signature du bail et que, de fait, la société s’était bien substituée à lui dans tous les actes d’exécution de ce contrat habituellement accomplis par un preneur.
Sous l’angle du droit des entreprises en difficulté et des baux commerciaux, la Cour de cassation, par un moyen relevé d’office, censure la décision de la Cour d’appel de Paris pour violation de l’article L. 622-14, 2° du Code de commerce au motif que lorsque le bailleur fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, en application du texte précité, sans revendiquer le bénéfice d’une clause résolutoire, il n’est pas dans l’obligation de délivrer le commandement exigé par l’article L. 145-41 du Code de commerce.
Pour aller plus loin
À l’origine de l’arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 2020, il y a une demande de résolution d’un bail commercial conclu par une société en liquidation judiciaire pour non-paiement de loyers et autres charges dus depuis l’ouverture de la procédure. Cette demande formulée par le bailleur à l’encontre d’une société unipersonnelle supposait toutefois que celle-ci soit bien le preneur. Or l’associé contestait cette qualité dans la mesure où le bail en question avait été conclu durant la période de formation de la société et prétendait qu’il n’avait jamais été repris par la société après son immatriculation.
Ainsi avant de s’interroger sur les conditions d’une demande de résolution contre la société (II), il convient de s’assurer que la société était bien le preneur (I).
I. La qualité de preneur de la société
Les sociétés acquièrent leur personnalité juridique au moment de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés (C. civ., art. 1842 , C. com., art. L. 210-6, al. 1er). Pour autant, les associés peuvent conclure des actes au nom de la société en formation lesquels, à certaines conditions, pourront être repris par la société lorsqu’elle sera dotée de la personnalité morale. Les engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société (C. civ., art. 1843 ; C. com., art. L. 210-6, al. 2).
Sur le fond, pour que la société puisse être engagée par voie de reprise, il convient d’abord de s’assurer que la période de formation a bien débuté au moment où l’acte est passé, ce qui peut soulever des difficultés pour des actes accomplis avant la signature des statuts. Il faut aussi que l’on soit en présence d’un acte juridique, la jurisprudence refusant de faire assumer à la société des fautes extracontractuelles de ses fondateurs (CA Paris, 24 février 1977 : JCP G 1978, II, 18957). Il faut surtout que la personne qui agit précise à son cocontractant qu’elle contracte bien au nom d’une « société en formation » et non pour son propre compte. Ainsi le contractant sait que si la société est immatriculée, c’est elle qui assumera les engagements souscrits. Cette mention permet aussi de faire prendre conscience au tiers que, au moment de l’acte, la société n’a encore aucune personnalité juridique. Si au contraire, l’associé ou le gérant se présente comme agissant au nom d’une société sans préciser qu’elle n’est pas encore immatriculée, le contrat est frappé de nullité absolue en raison de l’inexistence de la société au moment de la conclusion du contrat (Cass. com., 21 février 2012, n° 10-27630 : Bull. civ., IV, n° 49).
En l’espèce, ces conditions de fond ne semblaient pas faire défaut. Le bail est bien un acte juridique et celui-ci comportait une clause expresse selon laquelle il était signé par un associé pour le compte d’une société à constituer. La formule est suffisamment explicite pour admettre que la société est en formation. Elle semble même signifier que les statuts n’étaient pas encore établis au moment de la signature du bail.
Toutefois, ces conditions nécessaires sont, en principe, insuffisantes pour que la société immatriculée puisse être rétroactivement engagée. La reprise des actes suppose le respect de formalités énoncées par l’article 6 du décret n° 78-704 du 6 juillet 1978. C’est sur le fondement ce texte que l’associé, auteur du pourvoi principal, s’appuyait pour contester la reprise par la société et prétendre qu’il était resté le preneur.
L’article 6 du décret de 1978 prévoit trois modalités de reprise. Deux modalités sont antérieures à l’immatriculation et conduisent à une reprise automatique par la société au jour de l’immatriculation. On retrouve les mêmes modalités de reprise automatique dans l’article R. 210-5 du Code de commerce, disposition applicable aux SARL, c’est-à-dire à la société en cause.
La première consiste à établir un état des actes à reprendre mentionnant les engagements pour la société. En annexant cet état aux statuts signés par les associés, les actes qui y figurent sont automatiquement repris par la société dès son immatriculation.
La seconde modalité antérieure à l’immatriculation consiste à confier un mandat à un associé ou au gérant non associé précisant les engagements à souscrire et leurs modalités. Là encore, les actes accomplis en conformité de ce mandat spécial sont mécaniquement repris le jour de l’immatriculation.
En revanche, l’article R. 210-5 n’envisage pas la possibilité d’une reprise volontaire par décision collective des associés. Seul le dernier alinéa de l’article 6 le prévoit. Cette disposition étant applicable à toutes les sociétés, elle peut être mise en œuvre dans une SARL.
La jurisprudence se montre très exigeante sur le respect de ces conditions. Ainsi, elle a refusé que la reprise puisse résulter d’une exécution volontaire du contrat par la société après immatriculation (Cass. com., 23 mai 2006, n° 03-15486 : Bull. civ., IV, n° 130. – Adde : Th. de Ravel d’Esclapon, Pour une reprise implicite des actes accomplis pour le compte de la société en formation : RTD com. 2018, p. 1). Si les modalités antérieures à la constitution n’ont pas été accomplies, la reprise ne peut résulter que d’une décision collective adoptée à la majorité des associés, sauf clause contraire. S’agissant d’une société unipersonnelle, elle suppose une décision de l’associé unique. Or une exécution volontaire par la société correspond non pas à une décision collective d’associés, mais à acte du dirigeant qui représente la société à l’égard des tiers. Lorsque la société est unipersonnelle et que l’associé unique est gérant, comme c’était le cas en l’espèce, il peut alors y avoir une confusion : s’agit-il d’un décision de l’associé unique, seul compétent pour adopter les décisions d’assemblée, ou d’une décision du gérant ? Pour lever toute ambiguïté, la jurisprudence exige que l’acte soit mentionné sur le registre des décisions de l’associé unique pour qu’il puisse être valablement repris (Cass. com., 31 mai 2005, n° 01-00720 : Bull. civ., IV, n° 123). C’est le seul moyen d’attester que le gérant associé unique a décidé en sa qualité d’associé et non en qualité de gérant.
L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation ne s’inscrit pas dans cette approche jurisprudentielle exigeante. En effet, en l’occurrence, il était avéré qu’aucune des formalités antérieures à l’immatriculation n’avaient été respectées. Et l’auteur du pourvoi faisait valoir qu’aucune décision expresse mentionnée dans le registre des décisions de l’associé unique n’était intervenue après l’immatriculation de la société.
Or, en l’espèce, la chambre commerciale de la Cour de cassation approuve la Cour d’appel qui a donné effet à une clause de substitution dans le bail. Pour les magistrats du Quai de l’Horloge, cette clause permet d’écarter les formalités réglementaires de reprise dès lors qu’il y a une volonté commune de substitution des parties. Du moins, cette volonté ne résulte pas seulement de la clause de substitution contenue dans le bail : il faut aussi que la société exécute les actes habituellement effectués par le preneur, c’est-à-dire que les actes soient conformes à la volonté exprimée dans l’acte. En l’occurrence, la Cour d’appel avait relevé que la société avait bien exploité son fonds dans le local loué et que tous les actes d’exécution du bail avaient été accomplis par la société elle-même et non au nom de son gérant. C’est également elle qui avait sollicité en référé des délais de paiement des loyers. C’est enfin elle qui avait contracté un emprunt pour aménager le fonds exploité dans le local loué. En application de cette clause de substitution et des actes d’exécution effectués par la société immatriculée, cette dernière était bien le preneur du bail.
Cette décision marque une rupture avec la jurisprudence antérieure. En effet, il y a moins d’un an, la troisième chambre civile de la Cour de cassation avait refusé de donner effet à une clause de reprise contenue dans l’acte à reprendre au motif que les formalités de reprise n’avaient pas été régulièrement accomplies (Cass. 3e civ., 23 mai 2019 : 17-31463. – Ph. Schultz, Société en formation : L’insuffisance de la clause de reprise contenue dans l’acte à reprendre). Faut-il y voir une divergence entre deux chambres de la Cour de cassation ? Faut-il y voir une évolution vers un assouplissement des modalités de substitution de l’associé par la société immatriculée ?
Sur le plan de l’opportunité, cet assouplissement est souhaitable (V. Th. De Ravel d’Esclapon, préc.) : la volonté de l’associé qui a conclu le bail avec une clause de substitution, celle de la société ensuite représentée par la même personne et celle du bailleur concourraient vers la reconnaissance de la qualité de preneur à la société. Hormis le cas du mandat spécial qui est présenté au cocontractant, celui-ci ne peut pas savoir si les formalités de reprises ont été régulièrement accomplies après la conclusion de l’acte. Lorsqu’une société unipersonnelle gérée par son associé unique exécute volontairement le contrat, le tiers peut légitiment penser que la société a repris l’acte. Certes, si le gérant-associé unique n’a pas pris le soin de mentionner sa décision de reprendre l’acte dans le registre des décisions, celle-ci peut être annulée (C. com., art. L. 223-31, al. 4 ). Mais, cette nullité, fût-elle prononcée, serait inopposable aux tiers de bonne foi (C. com., art. L. 235-12).
Si cette évolution se confirme, elle devrait inciter les praticiens à recourir à cette clause de substitution afin de pouvoir donner effet aux actes d’exécution ultérieurs à l’immatriculation. Toutefois, cet arrêt de formation restreinte et qui restera inédit dans les publications officielles de la Cour n’a pas vocation à avoir une large portée. Très vraisemblablement, son sort devrait être limitée aux seules sociétés unipersonnelles où l’associé unique est également gérant.
II. La résolution du bail de la société en liquidation judiciaire
Étant acquis que la société était la preneuse, c’est bien contre celle-ci que le bailleur devait agir pour faire constater par le juge la résolution de plein droit du bail pour divers loyers impayés. En l’espèce, la demande se fondait sur des loyers impayés à un moment où la société était déjà en redressement judiciaire sans que celui-ci ne soit encore converti en liquidation judiciaire.
S’agissant d’un bail commercial, celui-ci est soumis aux dispositions de l’article L. 145-41 du Code de commerce selon lequel « Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai. ». Or le bailleur avait engagé une requête en résiliation du bail le 5 octobre 2016 et n’avait délivré un commandement de payer à la société preneuse que le 9 janvier 2017, soit la veille de l’audience du juge-commissaire devant statuer sur cette requête. L’ordonnance ayant rejeté la requête avait été elle-même rendue le 19 janvier. Comme le délai d’un mois n’avait pas expiré, le juge-commissaire a rejeté la requête et la Cour d’appel a confirmé la décision du premier juge.
Toutefois, la société était soumise à une procédure collective. Et la résolution du bail se fondait sur des loyers impayés depuis l’ouverture de la procédure. Or dans ce cas, l’article L. 622-14, 2° dispose que « Lorsque le bailleur demande la résiliation ou fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, le bailleur ne pouvant agir qu’au terme d’un délai de trois mois à compter dudit jugement. »
Cette action fondée sur l’article L. 622-14 du Code de commerce est-elle autonome ou doit-elle être combinée avec les exigences de l’article L. 145-41 du même Code ?
Dans un premier temps, la Cour de cassation avait jugé que les dispositions de l’article L. 622-14 du code de commerce ne dérogeaient pas aux dispositions de l’article L. 145-41 du même code prévoyant, en cas de clause résolutoire, la délivrance préalable d’un commandement (Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-19331 : inédit). En revanche, si un commandement avait été adressé au gérant de la société, il n’était pas nécessaire de l’adresser au mandataire judiciaire (Cass. com., 15 novembre 2017, n° 16-13219 : Bull. civ., IV, n° 148).
Puis, en 2019, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en énonçant que « En application des articles L. 641-12, 3°, et R. 641-21, alinéa 2, du code de commerce, lorsque le juge-commissaire est saisi, sur le fondement du premier de ces textes, d’une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d’un immeuble utilisé pour l’activité de l’entreprise, en raison d’un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire du preneur, cette procédure, qui obéit à des condition spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l’article L. 145-41 du code de commerce, à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail. En conséquence, le bailleur, qui agit devant le juge-commissaire pour lui demander la constatation de la résiliation de plein droit du bail, sans revendiquer le bénéfice d’une clause résolutoire, n’est pas dans l’obligation de délivrer le commandement exigé par l’article L. 145-41 du code de commerce » (Cass. com., 9 octobre 2019, n° 18-17563 : à paraître au Bull. civ.).
L’arrêt du 15 janvier 2019 vient confirmer en des termes identiques ce revirement de jurisprudence.
Cass. com., 15 janvier 2020, n° 17-28.127
Arrêt n 34 F-D
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par M. Adrien Samsam B., domicilié […],
contre l’arrêt rendu le 26 octobre 2017 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige l’opposant :
1/ à M. Rosario M., domicilié […],
2/ à la société 40 BC, société à responsabilité limitée, dont le siège est […],
3/ à la société Mandataires judiciaires associés, société d’exercice libéral à forme anonyme, dont le siège est […], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société 40 BC,
défendeurs à la cassation ;
1/M. a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l’audience publique du 19 novembre 2019, où étaient présents : M. Guérin, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller, Mme Pontonnier, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SCP B., D. et R., avocat de M. B., de Me B., avocat de la société Mandataires judiciaires associés, de la SCP T.-P. et B., avocat de M. M., l’avis de M. D., avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. B. que sur le pourvoi incident relevé par M. M. ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que par un jugement du 4 février 2016, le tribunal de commerce de Paris a prononcé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire de la société unipersonnelle à responsabilité limitée 40 BC, dont M. B. est l’associé fondateur et le gérant ; que M. M. a déclaré une créance au passif de la société 40 BC correspondant aux loyers impayés depuis le mois d’octobre 2015 au titre du bail, conclu le 5 mars 2005, portant sur des locaux dans lesquels la société 40 BC exerçait son activité ; que M. M. a, le 5 octobre 2016, saisi le juge-commissaire d’une requête aux fins de constatation de la résiliation de plein droit du bail ; que par un jugement du 22 novembre 2016, le tribunal a prononcé la conversion en liquidation judiciaire de la procédure de redressement, la Selafa MJA étant désignée liquidateur ; que M. B. est intervenu volontairement à l’instance introduite par M. M. en résiliation du bail pour qu’il soit jugé qu’il est le seul titulaire du droit au bail ; que, par une ordonnance du 19 janvier 2017, le juge-commissaire a rejeté la requête de M. M. et la demande de M. B. ; que celui-ci a formé un recours contre cette ordonnance ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu que M. B. fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen :
1/ que la reprise des engagements souscrits par une personne qui a agi au nom d’une société en formation résulte soit de la signature des statuts lorsque l’engagement figure sur un état qui y est annexé, soit d’un mandat donné avant l’immatriculation de la société et déterminant la nature et les modalités des engagements à prendre, soit, après l’immatriculation, d’une décision prise à la majorité des associés ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a considéré, par motifs propres, que « bien que les statuts de la société 40 BC, société à associé unique, ne mentionnent pas la reprise du bail dans ses annexes et qu’il n’existe aucun mandat écrit autorisant M. B. à contracter le bail au nom de la société, il résulte de l’ensemble des éléments produits que les parties avaient la volonté de substituer la société 40 BC à M. B. lors de la signature du bail et que, de fait, la société 40 BC s’est bien substituée à lui dans tous les actes concernant un preneur » ; que la cour d’appel a énoncé que tous les actes d’exécution du bail avaient été accomplis par la société 40 BC, qu’elle s’était comportée comme la seule titulaire du bail, qu’elle avait payé les loyers et était titulaire du dépôt de garantie fixé dans le bail, et qu’elle avait emprunté de quoi financer les travaux d’aménagement du fonds de commerce, avec un nantissement comprenant le droit au bail qu’en se prononçant ainsi, tandis qu’il résultait de ses propres constatations que les statuts de la société 40 BC ne mentionnaient pas, dans un état annexé, la reprise du bail conclu par M. B., que la société n’avait ni confié à M. B. avant immatriculation un mandat pour conclure le bail en son nom et pour son compte, ni, après l’immatriculation, décidé, par un acte exprès, de ratifier le contrat prétendument conclu en son nom par M. B., seules circonstances de nature à rendre la société 40 BC titulaire du bail commercial litigieux, de sorte que M. B. était demeuré le seul titulaire de ce bail, la cour d’appel a violé les articles L. 210-6 et R. 210-5 du code de commerce, l’article 1843 du code civil et l’article 6 du décret n 78-704 du 3 juillet 1978 ;
2/ que la reprise des engagements souscrits par une personne ayant agi au nom et pour le compte d’une société en formation ne peut résulter, après l’immatriculation, que d’une décision prise à la majorité des associés ; que si, dans le cas où la société ne comporte qu’un seul associé, ce dernier est habile à prendre une telle décision aux lieu et place de l’assemblée des associés, celle-ci ne peut alors résulter que d’un acte exprès répertorié dans le registre prévu à cet effet ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a considéré, par motifs réputés adoptés, que M. B. avait « explicitement marqué sa volonté de se voir substituer par cette société dans le bail initialement conclu entre lui et M. Rosario M. », après avoir relevé l’existence de « trois actes positifs », à savoir une instance en référé initiée par la société 40 BC se présentant comme titulaire du bail, la signature par cette société d’un contrat de prêt afin de financer l’aménagement des locaux, et l’inscription du droit au bail dans sa comptabilité ; qu’en se prononçant ainsi, tout en ayant relevé que le contrat de bail avait été signé par M. B. avant l’immatriculation de la société 40 BC, de sorte que cette dernière ne pouvait reprendre l’engagement pris pour son compte qu’à la condition d’une décision expresse de M. B. répertoriée dans le registre prévu à cet effet, la cour d’appel a violé les articles L. 210-6 et R. 210-5 du code de commerce, l’article 1843 du code civil et l’article 6 du décret n 78-704 du 3 juillet 1978 ;
Mais attendu qu’après avoir constaté que le contrat de bail mentionne qu’il est signé par M. B. « pour le compte d’une société à constituer devant se substituer, qui aura pour objet l’exploitation d’un fonds de commerce dans le locaux loués… », l’arrêt retient qu’en signant ce contrat, le bailleur, M. M., et le signataire, M. B., ont donné de façon non équivoque leur accord pour que l’engagement souscrit par ce dernier pour le compte de la future société soit exclusivement assumé par cette dernière ; qu’il relève que la société 40 BC a bien exploité le fonds de commerce dans les locaux loués conformément au contrat de bail, que son siège social y était situé, que tous les actes d’exécution du bail ont été accomplis par la société 40 BC et que depuis la signature du bail en 2005, cette société s’est comportée comme étant la seule titulaire du bail et le bailleur l’a considérée comme telle ; qu’il constate ensuite que les loyers ont été payés par la société 40 BC et non par son gérant, qui produit quatorze chèques dont seulement deux sont émis par lui, l’un en qualité de caution, ce qui suppose qu’il n’était pas le titulaire du bail, et l’autre du 26 septembre 2016, qui semble avoir été impayé ; qu’il relève encore que c’est la société 40 BC qui a sollicité en référé des délais pour se libérer des sommes dues au titre des loyers, se comportant de manière non équivoque en titulaire du bail, qu’elle était titulaire d’un dépôt de garantie du montant fixé initialement dans le bail, montant que le cessionnaire a remboursé à la liquidation judiciaire, et que le bailleur a fait délivrer les commandements de payer à cette société et a produit sa créance de loyers à la liquidation judiciaire de la société 40 BC sans que M. B. ne conteste cette créance ; qu’il relève enfin que la société 40 BC a souscrit un emprunt pour financer des travaux d’aménagement du fonds de commerce et que le nantissement en garantissant le remboursement comprend le droit au bail ; que de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu, en l’état des termes de la clause de substitution stipulée au bail, qui la dispensait de faire application des dispositions de l’article 1843 du code civil, déduire, bien que les statuts de la société 40 BC, société à associé unique, ne mentionnent pas la reprise du bail dans ses annexes et qu’il n’existe aucun mandat écrit autorisant M. B. à contracter le bail au nom de la société, que les parties avaient la volonté de substituer la société 40 BC à M. B. lors de la signature du bail et que, de fait, la société 40 BC s’était bien substituée à lui dans tous les actes d’exécution de ce contrat habituellement accomplis par un preneur ; que le moyen n’est pas fondé ;
Mais sur le pourvoi incident :
Sur le moyen relevé d’office, en application de l’article 620, alinéa 2, du code de procédure civile, après avertissement délivré aux parties :
Vu l’article L. 622-14, 2 du code de commerce ;
Attendu que lorsque le juge-commissaire est saisi sur le fondement de ce texte d’une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d’un immeuble utilisé pour l’activité de l’entreprise, en raison d’un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de redressement judiciaire du preneur, cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l’article L. 145-41 du code de commerce, à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail ;
Attendu que pour rejeter la demande de constatation de la résiliation de plein droit du bail, l’arrêt, après avoir relevé que la requête en résiliation du bail introduite par M. M. le 5 octobre 2016 visait les loyers et charges des mois d’août, septembre et octobre 2016, ainsi que la taxe foncière, et qu’aucun commandement n’avait été délivré concernant cette période, retient que si M. M. a bien fait délivrer un commandement le 9 janvier 2017, l’audience devant le juge commissaire devant statuer sur le sort du bail a eu lieu le lendemain et son ordonnance a été rendue le 19 janvier, soit moins d’un mois avant l’acquisition de la clause résolutoire ; qu’il en déduit que celle-ci doit être écartée ;
Qu’en statuant ainsi, alors que M. M., qui demandait la constatation de la résiliation de plein droit du bail sans revendiquer le bénéfice d’une clause résolutoire, n’était pas dans l’obligation de délivrer le commandement exigé par l’article L. 145-41 du code de commerce, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le dernier grief du pourvoi incident :
REJETTE le pourvoi principal ;
Et sur le pourvoi incident :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il consent deux mois de délais de paiement avec suspension des effets de la clause résolutoire du bail pendant ce délai, rejette la demande en résiliation du bail formée par M. M., et statue sur les dépens et les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt rendu le 26 octobre 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. B. aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à la société MJA, en sa qualité de liquidateur de la société 40 BC, et à M. M. la somme de 3 000 euros chacun ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille vingt.